Orages du solstice d’hiver

Billet écrit en temps contraint

Les dernières journées de décembre, avant et après Noël, sont en général les journées que je déteste le plus de toute l’année.

Ce sont des journées où éclatent, comme des orages, de lourdes contradictions. Ce sont des journées violentes. Leurs orages valent bien de vrais orages d’été, avec leurs grondements, leurs éclairs, leurs foudres.

Les journées autour de Noël sont les journées où il y a le moins de lumière de toute l’année. Ce sont en général des journées très froides, mais le froid n’est pas tout. Ainsi même lorsque, comme cette année, le mois de décembre est relativement doux, ce sont cependant des journées où on prend conscience de la dureté du climat, où on réalise pleinement que l’hiver est arrivé, que la lumière est partie, que tout est mort autour de soi.

On s’en aperçoit d’autant plus vite, d’autant plus brutalement, lorsqu’on a la chance, comme moi, de pouvoir être en vacances ces jours-là. Ca permet une prise de conscience brutale. On lève le nez du guidon, et on regarde autour de soi. Certes, tout au long des deux mois précédents, on a senti le froid arriver, la lumière partir, les végétaux mourir, le silence tomber, mais on avait trop d’autres choses à penser, qui vous remplissaient l’esprit, qui vous occupaient les sens. Et là, d’un seul coup, on est seuls, nus, face à l’hiver. Ça peut sembler anodin, mais c’est dur. Une prise de conscience brutale est plus dure qu’une lente accoutumance.

Cet après-midi de 22 décembre, j’avais une course à faire, j’ai marché une vingtaine de minutes dans l’hiver, histoire de faire un peu d’exercice, de m’oxygéner, de prendre mon temps. Au retour, j’ai pris le bus. Pas pour aller plus vite, pas pour avoir chaud, juste pour ne pas voir, ou moins voir, l’hiver. Pour moins me sentir seul, aussi, peut-être.

Jadis, le froid et l’hiver ne me faisaient pas peur. Cela me parait bien loin. Aujourd’hui, le froid et l’hiver me font peur, j’ai déjà essayé d’expliquer pourquoi.

Pour diverses raisons, notamment physiologiques, ces journées d’entrée dans l’hiver devraient être des journées de repos, de ménagement, de recueillement, voire d’hibernation. Avec Noël tel qu’il est devenu, ce sont des journées de tension, d’hystérie, les enfants sont chauffés à blanc, excités et surexcités, intenables et agressifs, ainsi que les adultes qui se prennent pour des enfants, ou qui sont pressés d’étaler leur pouvoir d’achat durement accumulé le reste de l’année. Et de cette tension naissent des orages.

Je n’aime plus Noël : je l’ai déjà écrit une fois, je l’ai écrit une deuxième fois, je serai peut-être un jour amené à le redire. Je n’aime pas le Noël contemporain, cette orgie de consommation obligatoire, ce machin de supposé bonheur industriel, cette apogée de la dictature des objets. Je n’ai pas envie d’en remettre une couche là-dessus. Ces tas de cartons, ces tas de bouffes, ces tas d’alcools, me dégoûtent un peu plus chaque année. Je n’aime pas Noël. C’est le moment où on voit le plus clairement que la consommation ne fait pas le bonheur, et que toute la « société de consommation » est une escroquerie morale et spirituelle.

Encore une fois, ces journées autour du solstice d’hiver sont un moment d’affaiblissement physiologique par l’extérieur, froid, manque de lumière, épidémies … et c’est précisément le moment où la société de consommation nous invite à nous affaiblir un peu plus de l’intérieur, par toutes sortes d’excès, toutes sortes de pièges. Cette contradiction m’effraie. Je ne crois pas à une coïncidence, mais je ne sais l’expliquer. En attendant, elle aussi charrie des orages.

Enfin, pour beaucoup de gens chanceux, dont moi, ces journées sont des premières journées de vacances. On y arrive crevés, épuisés, lessivés. Fatigué, fatigué, fatigué. Ce devrait être un moment de décompression, de lente et délectable décompression. Eh bien non, la décompression est en générale violente. C’est une sorte de syndrome du vendredi soir, à la puissance dix. Je l’ai déjà expliqué : je redoute le vendredi soir, et je redoute aussi le début des vacances de noël, probablement pour les mêmes raisons. Dans mon cas personnel, cette année encore, ça n’a pas raté, le vendredi soir du début des vacances de noël a été d’une rare violence. Ceci dit, on n’est que le 22 décembre, le pire n’est peut-être pas encore passé. Un orage peut en cacher un autre. C’est la vie.

Donc, au lieu de commencer à s’évacuer doucement, la fatigue accumulée vous explose à la figure. Votre fatigue et celle des autres. Assumée ou pas. La fatigue, le stress, l’usure, les rancœurs, les non-dits, les frustrations, et j’en passe. Tout ce qui s’est accumulé, tout ce qu’on a réussi à tenir en respect pendant le cycle précédent. C’est violent. Ça peut être très violent. Ça peut être incontrôlable. Au moment où, justement, on s’y attend le moins. Au moment où, justement, on relâche l’attention, on voudrait laisser filer, on voudrait laisser aller. Là aussi, je ne sais pas s’il faut parler de contradiction, de coïncidence, ou bien même de corrélation logique et nécessaire — qu’il faudrait établir plus précisément.

En attendant, il faut traverser cette zone orageuse. Malgré la fatigue. C’est la vie. C’est comme ça.

Ce n’est qu’un mauvais moment à passer.

Je préférerais hiberner.

Bonne nuit.

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