L’entrepreneur grotesque

Le mot « entrepreneur » est une réussite !

Non seulement il incarne le culte de la réussite qui écrase notre temps, mais il est, en lui-même, par lui-même, une réussite.

Il fait partie de ces mots qui me ramènent à cette sentence dont je ne me rappelle jamais si elle vient de Gustave Flaubert, ou de Paul Valéry, ou d’une énième tierce lecture de demi-instruit :

Les mots prennent de la valeur au fur et à mesure qu’ils perdent du sens.

Pour tout dire, ce mot m’insupporte. Mais il peut être utile d’ébaucher sa petite histoire, du petit coin de ma petite lucarne. C’est l’objet de ce billet.

Notons en passant que « entrepreneur », c’est un mot qui se traduit tel quel en américain, donc c’est un mot compatible avec la langue des winners.

Notons aussi que « entrepreneur », c’est un mot masculin, sans vrai équivalent féminin, les dictionnaires hésitent entre entrepreneuse et entrepreneur, mais les winners eux ne s’y trompent pas, le mot sent bon le patriarcat et la domination et c’est aussi pour ça qu’ils l’aiment.

De nos jours, le mot « entrepreneur » est mis, comme on dit peut-être encore, à toutes les sauces. Il me semble que ça n’a pas toujours été le cas.

J’ai grandi dans les années 1980s où, déjà, il n’y en avait plus que pour l’ « entreprise », la « Sainte-Entreprise » avec un E majuscule, il n’y avait de salut que dans l’ « entreprise », il fallait tout faire pour « aider les entreprises », seules créatrices de richesse et de vertu et tout le bazar. Mais le mot « entrepreneur » était encore discret. Même une de figures de l’époque, Bernard Tapie, se présentait volontiers comme « homme d’affaires », « businessman » ou encore « repreneur », mais ne se revendiquait pas comme « entrepreneur ». L’heure de gloire du mot « entrepreneur » est venue plus tard.

Dans mon souvenir, dans les années 1980s et 1990s, le mot « entrepreneur » était surtout utilisé dans le domaine de la construction, la maçonnerie, ce qu’on appelait parfois le BTP, Bâtiments et Travaux Publics. Un entrepreneur, c’était un gars qui gérait des chantiers. Il sentait le plâtre et l’enduit, et la poussière toute neuve. Un patron, c’était un patron. Un chef d’entreprise, c’était un chef d’entreprise. Un créateur d’entreprise, c’était un créateur d’entreprise. J’avoue avoir lu quelques livres dans ces années-là sur des créateurs d’entreprises déjà légendaires, Steve Jobs, Bill Gates et quelques autres : je ne me souviens pas y avoir vu apparaître le mot « entrepreneur ». Le mot n’était tout simplement pas à la mode. Mais ma mémoire peut me tromper.

Je précise en passant que je n’ai rien contre les « entrepreneurs » en général. J’ai des amis qui ont « créé leur boîte », je connais des gens qui en ont rêvé, dans les années 1990s notamment. J’ai beaucoup de respect pour toutes sortes de gens qui peuvent légitimement et sincèrement se présenter comme « entrepreneurs » : petits commerçants, petits artisans, le jeune couple qui a repris la boulangerie en face de l’école de mon quartier, le gars qui a fait la réparation du toit de ma maison, et beaucoup, beaucoup d’autres.

Le propos de ce billet est le mot. Le mot « entrepreneur », ce que ce mot est devenu, ce qui a été fait de ce mot au cours des dernières décennies.

Nous les entrepreneurs

Je vous parle d’un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître

À la fin des années 1990s, le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde, et son bras droit Denis Kessler décident de transformer le vieux CNPF (« Conseil National du Patronat Français ») en un MEDEF tout neuf, tout beau et tout moderne. Le sigle veut encore dire « Mouvement des Entreprises De France ». Mais le ton et les mots du discours fondateur, le 27 octobre 1998, sont clairs :

Nous voici rassemblés, nous les entrepreneurs de France, venus de toutes les régions, représentant tous les métiers et toutes les tailles d’entreprises. (…) Nous sommes un million quatre cent mille hommes et femmes qui nous sommes mis à risques pour créer, maintenir, développer une entreprise, afin de produire avec les 14 millions de salariés avec lesquels nous travaillons, les biens et les services qui constituent la richesse nationale.

Combien de fois, dans ces années, le baron Seillière, l’héritier de la dynastie Wendel, l’héritier d’une des plus emblématiques dynasties capitalistes d’Europe occidentale (pour les coulisses, voir « Les Grandes Familles » de Maurice Druon, brillamment adapté au cinéma avec Jean Gabin et à la télévision avec Michel Piccoli, édifiant), combien de fois cet hyper-héritier a-t-il commencé une phrase en disant, sans rire, sans rougir : « Nous les entrepreneurs » ?

Le personnage de Seillière était grotesque et prêtait à sourire, mais le mouvement était réel. Les gens qui animaient ce mouvement étaient sérieux et décidés. Ils croyaient en leur idéologie. Ils venaient de loin. Ils sont allés loin. Ils ont massacré ce monde. Ils n’ont pas été assez pris au sérieux.

Le mouvement avait commencé avant le personnage grotesque de Seillière et il a continué après lui. C’est fin 1999 que parait « Le Nouvel Esprit du Capitalisme » d’Ève Chiapello et Luc Boltanski (713 pages sans compter les annexes et les notes, j’ai calé au deuxième tiers, un jour je le finirai). Beaucoup, beaucoup de tout ce que j’effleure dans ce billet et dans d’autres, beaucoup de ce que nous subissons aujourd’hui, beaucoup est dedans. Il aurait fallu plus se méfier. Les mots sont importants.

Lors du sommet du G7 de 2002, une autre personnalité grotesque du début de ce siècle, George W. Bush, aurait confié à Tony Blair – ce fut l’occasion d’une joyeuse controverse aujourd’hui oubliée, le Web n’a pas tant de mémoire que ça :

The problem with the French is that they don’t have a word for entrepreneur.
Le problème avec les Français c’est qu’ils n’ont pas un mot pour dire entrepreneur.

Bref, alors qu’on rentrait dans le XXIème siècle, le mot « entrepreneur » a poursuivi son lent chemin vers la prééminence, vers ce que certains appelleraient l’hégémonie culturelle.

Le mot s’est répandu partout. Le mal s’est répandu partout.

La tenaille, comme disaient aussi bien le sergent-chef Chaudard que le petit-président Manu : par le bas, par le haut, partout !

Entrepreneurs d’en bas

Lors du quinquennat du premier petit-président (2007-2012), sont inventés les statuts de l’ « auto-entrepreneur », ou « entrepreneur individuel », ou « micro-entrepreneur ». Il y a beaucoup de bruit au fil des aménagements successifs de ces statuts, au fil des dédales administratifs qui s’en sont saisis. Il y a eu beaucoup de confusion, parce qu’ils ont concerné toutes sortes de métiers et de gens, des pauvres comme des riches. Mais, à mesure que la poussière retombait, et surtout depuis l’arrivée des « donneurs d’ordre » plus joliment appelées « grandes plateformes numériques », les choses sont assez devenues claires : pour la plupart des gens concernés, les plus emblématiques étant les conducteurs Uber et les livreurs Amazon, pour eux, auto-entrepreneur, ça veut juste dire esclave 2.0.

Peut-être était-ce l’objectif dès le début : contourner tout ce qui de près ou de loin peut être protecteur dans les statuts existants, de travailleur salarié ou de travailleur indépendant, faire voler en éclats toute notion de salaire minimum, tout semblant de protection sociale pérenne, toute mesure des temps de travail et des temps de repos, toute considération pour l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail, etc. Bref, « faire baisser le coût du travail ». Payer à la tâche. Payer juste pour la tâche, live and let die. Payer le moins possible. Baisser le coût du travail et abaisser les travailleurs. Peut-être n’était-ce pas l’objectif : c’est en tout cas le résultat.

Le régime Macron adore se glorifier des chiffres des créations d’entreprises, supposés prouver que les Français ont foi en l’avenir en général, et en leur avenir à eux dans la grande et belle économie de marché libre et non faussée. Il est beaucoup plus discret sur le fait que les « auto-entrepreneurs » constituent la masse de ces créations. Et il est encore plus discrèt sur les revenus réels de la masse de ces « auto-entrepreneurs ». Et au fond, ça ne l’intéresse pas. Vae victis. Malheur aux vaincus. Malheur aux « perdants ». Mais ils l’ont bien cherché, n’est-ce pas ? Et puis, ce ne sont pas des esclaves, ce sont des « auto-entrepreneurs », c’est quand même bien plus classe, n’est-ce pas ?

Entrepreneurs d’en haut

En haut, chez les « vainqueurs », on ne dit pas « auto-entrepreneur », on dit « entrepreneur » tout court. Et on le dit et on le répète bien haut, tout le temps.

Les « grandes écoles », qu’elles soient des « écoles de gestion », « écoles de commerce » ou « écoles d’ingénieurs » (ou des « instituts d’études politiques »), ne forment plus des gestionnaires, des commerciaux ou des ingénieurs, ni même des cadres ou des managers : elles forment des « entrepreneurs » ! Leurs brochures, leurs sites officiels, tous leurs machins dégoulinent d’ « entrepreneurs », « entrepreneuriat », « culture d’entrepreneurs » et toute la quincaillerie.

Tous les gros dirigeants de gros groupes bien gras adorent se présenter désormais comme des « entrepreneurs ». Les gros chefs des grosses banques françaises ont été particulièrement en pointe en la matière, mais maintenant c’est général, aucun secteur n’est épargné. Et le poison se diffuse, l’exemple venant de haut, les moyens chefs aspirant à devenir gros, les petits chefs aspirant à devenir moyens, tous, tous drapent leurs ambitions et les prétentions dans la toge de l’entrepreneur. Chefs, sous-chefs, directeurs, managers ? C’est tellement plus chic de se proclamer « entrepreneur » ! Je répugne à aller chercher des exemples, mais il vous suffira d’aller naviguer dans l’abomination appelée LinkedIn, vous trouverez vite.

Ces « entrepreneurs » auto-proclamés adorent disserter sur leur amour du risque, leur désir d’entreprendre, leur maîtrise de l’ « entrepreneuriat », leurs pulsions d’entrepreneurs, leurs valeurs d’entrepreneurs, leur culture, mindset, skills set, jeu set et match et autres machins d’entrepreneurs. Alors qu’ils sont, factuellement, des salariés en contrat à durée indéterminée (ou des mandataires sociaux), grassement payés, relativement protégés, objectivement assistés. Ils n’ont jamais pris de vrais risques de leur vie, ils vivent dans l’opulence, ils empilent les prébendes et les privilèges, et ne parlons même pas de leur espérance de vie en bonne santé.

On les aurait jadis appelés jadis des « bureaucrates », des « apparatchiks », ou encore des « ronds-de-cuir ». Mais ils se proclament « entrepreneurs ». Ils embrassent les risques. Ils mettent leurs vies en jeu pour leurs projets entrepreneuriaux. Ce sont des surhommes ! Ce sont des héros ! Ce sont des super-héros ! Ce sont des « entrepreneurs » ! C’est juste ridicule, ça pourrait être objet de moquerie, ça devrait être objet de moquerie, mais ça ne l’est pas. C’est respectable, respecté, encensé. Le chef a toujours raison. Surtout qu’il est plus que chef, il est « entrepreneur » !

J’ai pensé à une époque que la mode du mot « entrepreneur » était juste une dérive du culte du chef d’entreprise, ou une dérive de la vieille culture française de la courtisanerie à la sauce versaillaise, mais c’est bien plus que cela. Ils font plus que se la péter. Ils y croient vraiment. Ils n’en sont que plus dangereux. Et ils sont portés par ce « nouvel esprit du capitalisme » caractérisé dès 1999 (1999 !) par Chiapello et Boltanski.

Par parenthèse, j’essaie de bannir mon vocabulaire les expressions usurpant la notion de grandeur, comme « grandes entreprises », « grands patrons », « grands chefs ». Comme je l’ai probablement déjà écrit en ce blog (je radote beaucoup), ces choses, ces gens, n’ont rien de grand, rien de respectable, rien d’honorable.

Ils ne sont pas grands ; ils sont juste gros.

Ils sont gros et gras, et pesants, et écrasants, et encombrants. Gros par l’ampleur de ce qu’ils contrôlent, de ce qu’ils accaparent, de ce qu’ils dévoient, de ce qu’ils détruisent. Ils n’ont aucune grandeur et aucune hauteur, pas plus qu’ils n’ont de gloire, de vertu, de morale ou d’honneur. Regardez de près les tours de La Défense : elles ne sont pas grandes, elles sont juste grosses – et assez moches, pour la plupart. Fin de la parenthèse.

Entrepreneurs de partout

Quand au hasard des jours
Je m’en vais faire un tour
À mon ancienne adresse

L’obsession de « tous entrepreneurs » s’infiltre partout.

L’obsession s’infiltre dans les écoles de la République. Quand on voit le niveau des bourrages de crâne qui prennent désormais prétexte de la laïcité, de l’Union Européenne et autres doctrines officiels, on imagine aisément l’ « entrepreneuriat » devenir une matière enseignée dans les collèges ou les lycées, et donnant des points de bonus sur ParcourSup. Ça a déjà commencé. Il parait que c’est dans les objectifs de l’UE depuis la « stratégie de Lisbonne » de mars 2000. Le 29 avril 2013, le petit président d’alors avait déclaré :

Notre premier devoir, c’est donc de stimuler l’esprit d’entreprise, l’initiative, dans tous les domaines. C’est d’abord le rôle de l’école.

L’obsession s’infiltre dans toutes les organisations. Ça fait des décennies qu’on entend le refrain : Il faudrait gérer l’Etat comme une entreprise, il faudrait gérer les collectivités locales, les universités, les hôpitaux comme des entreprises, il faudrait tout gérer comme des entreprises, tout serait mieux si tout était géré comme une entreprise ! L’étape suivante, fort logiquement, est que tout dirigeant de quoi que ce soit est invité à se présenter comme un entrepreneur, et, pour tout dire, à se la péter comme un super-héros.

Ça donne des maires-entrepreneurs, des présidents d’université-entrepreneurs, des directeurs d’hôpitaux-entrepreneurs, des chefs d’établissement-entrepreneurs – avec à chaque fois, un projet d’entreprise, une vision d’entreprise, des valeurs d’entreprise. Ça envoie du rêve, n’est-ce pas ?

Plus prosaïquement, ça sert en général à justifier des rémunérations de super-héros pour les maires-entrepreneurs, les présidents d’université-entrepreneurs, les directeurs d’hôpitaux-entrepreneurs, les chefs d’établissement-entrepreneurs. Il faut bien récompenser le « talent », la « performance », la « prise de risque », et autres qualités éminentes d’un « entrepreneur » ! Et il y aura quelques miettes qui ruisselleront pour les nombreuses courtisaneries dont s’entoureront au fil du temps ces petits rois Soleil-entrepreneurs. Et tant pis pour tous les autres.

Et le « tous entrepreneurs », ça s’infiltre aussi dans les individus. Dans les têtes. Dans les comportements. C’est logique : puisqu’il faut tout gérer « comme une entreprise », il faut se gérer soi-même « comme une entreprise ».

Ça donne alors, entre autres, ce concept monstrueux appelé « entrepreneur de soi ». C’est un impératif, une injonction, dans la grande famille « Il faut s’adapter » : « Il faut être entrepreneur de soi ». Ça corrompt en passant des concepts intéressants comme le « capital culturel ». Et ça sème des métastases fumantes telles que le « personal branding » : se penser comme une marque.

Entrepreneurs d’eux-mêmes

Certains aspects peuvent sembler innocents. Je n’oublierai jamais une discussion avec une jeune collègue brillante à l’autre bout de l’Europe, il y a quelques années. Elle s’apprêtait à se marier et elle hésitait à garder son nom de famille – ce qu’on appelle encore son « nom de jeune fille ». Elle l’a gardé, finalement. C’était sa marque, s’est-elle dit. C’est le nom associé à sa réputation, à son brillant début de carrière. Y renoncer eût été se priver de la valeur de cette marque. Vous voyez le raisonnement. Il n’est pas absurde. Il se comprend. Mais avec le recul, il m’a laissé rêveur.

Mais il n’y a pas de place pour les rêveurs, en ce monde : il faut des entrepreneurs !

Et le « personal branding » est une prison comme tant d’autres. Vous croyez être une petite marque, mais vous êtes surtout prisonnier de grosses marques. Comme la camarade Bredouille l’a expliqué mieux que personne, votre image sur LinkedIn ne vous appartient pas. Votre nom ne vous appartient pas. Ils appartiennent à l’entreprise qui vous emploie, au système qui vous emploie, à vos anciens et futurs employeurs et donneurs d’ordre. The Matrix has you. Mais c’est tellement gratifiant de vous croire entrepreneurs de vous-mêmes !

Le 7 janvier 2015, le produit Macron – archétype de l’entrepreneur de soi ! Über-winner ! Messie de ceux-qui-réussissent ! — a déclaré :

Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires.

Evidemment, il ne présentera jamais les milliardaires de ce pays pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire principalement des pillards (comme, par exemple, Bernard Arnault), ou des héritiers (comme, par exemple, les enfants de Bernard Arnault). Il les présentera comme des « entrepreneurs ». C’est beau. C’est plus que beau. C’est magnifique. Ils sont beaux. Ils sont tellement beaux.

Mais, j’insiste et je termine par là, c’est surtout en pratique, dans la pratique, dans la misérable pratique quotidienne, permanente et concrète, de la domination et du mépris, que le mot « entrepreneur » fait le plus de dégâts.

Le mot « entrepreneur » est devenu, comme « agile », comme « proactif », comme « disruptif », comme « jeune », comme « start-up » et comme « positive attitude », un énième moyen pour les « winners » (les gagnants, les dominants) de se distinguer des « losers » (les perdants, les minables au sens strict du mot « loser »). Un moyen de se proclamer « winners », et d’écraser les « losers ». Ils devraient avoir honte d’exister, les « non-entrepreneurs » !

Le mot « entrepreneur » sert à diaboliser les mécréants, à renvoyer dans les cordes du négatif les non-entrepreneurs, les non-chefs, les non-agiles, les non-proactifs, les vieux, les lents, les mous, les salariés, les chômeurs, les fonctionnaires, les humbles, les sans-grades – « ceux qui ne sont rien », comme disait Manu. C’est tellement facile ! Tous ces minables n’avaient qu’à créer leur boîte, à devenir des chefs, à « entreprendre » d’une manière ou d’une autre, à embrasser tel ou tel « projet entrepreneurial », à se vendre, à savoir se vendre et à aimer se vendre ! Tous ces idiots ne savent même pas être entrepreneurs d’eux-mêmes ! Ils ne l’ont pas fait, c’est donc qu’ils sont nuls ! Alors que nous, « nous les entrepreneurs », comme disait le baron Seillière, nous sommes tellement supérieurs, tellement du bon côté de l’Histoire, et surtout tellement du bon côté du manche !

Le mot « entrepreneur » est un des étendards sanglants du néolibéralisme en marche, du pillage et de la domination.

Yo, entrepreneur !

La bohème, la bohème
Ça ne veut plus rien dire du tout

Un des derniers clous sur le cercueil du sens du mot « entrepreneur » a été planté, en novembre 2020, par l’une des personnalités les plus grotesques du régime Macron, celle qui est affublée depuis juillet 2020 du titre de Ministre Déléguée auprès du Ministre de l’Intérieur, Chargée de la Citoyenneté, rien que ça. Fêtant son arrivée sur un énième réseau social débile pour jeunes écervelés, elle crut bon de proclamer, se croyant peut-être sur LinkedIn :

Salut à toi, jeune entrepreneur !

C’est beau.

C’est beau comme du George W. Bush, c’est beau comme du Ernest-Antoine Seillière, c’est beau comme du Bernard Tapie. Chaque époque a le grotesque qu’elle peut.

Seulement voila, il faut se méfier du grotesque, pas juste en rire. Il faut essayer de prendre le grotesque au sérieux. Car le grotesque cache souvent de l’abominable.

Bonne nuit.

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3 commentaires pour L’entrepreneur grotesque

  1. L’entrepreneur, c’est l’über-manager !…

  2. Précaire1218481917 dit :

    La refondation sociale patronale a parfois été prise au sérieux 🙂

    « Refondation sociale » patronale : Le gouvernement par l’individualisation
    http://www.cip-idf.org/spip.php?article3279

    Refondation sociale patronale : L’éthique du bouffon
    http://www.cip-idf.org/spip.php?article3183

    Refondation « sociale » patronale : Le Pare [contre le droit au chômage] , une entreprise travailliste à la française
    http://www.cip-idf.org/spip.php?article3184

    La mort du libéralisme, [sur le passage au néolibéralisme]
    http://www.cip-idf.org/spip.php?article3078

    • En effet. Quel dommage que les gens lucides n’aient pas été plus écoutés.
      Mais, à vrai dire, sont-ils plus écoutés maintenant qu’il y a quelques décennies ?
      Je crains que non. Sans même aller parler du syndrome de Cassandre, je crois que la progression de l’abrutissement généralisé, méticuleusement encouragée, rend encore plus inaudibles les gens lucides.
      Triste époque.
      J’espère que je me trompe.

Tous les commentaires seront les bienvenus.