Vous n’avez pas honte, Monsieur Castex ?

Cet été, un ami m’a dit qu’il avait croisé Jean Castex, sur un boulevard, dans Paris. Je m’étais demandé ce que je ferais si je croisais ce Monsieur.

Il y a quelques jours, en ce mois de septembre 2022, j’ai vu passer sur Twitter une photo de Jean Castex dans le métro. Vrai ou fausse, elle était supposée prouver que c’est un homme simple, humble, souhaitant se passer des privilèges auxquels il pourrait prétendre en tant qu’ancien Premier Ministre. J’étais moi-même à cet instant dans le métro, et je me suis alors à nouveau demandé ce que je lui dirai, si je le croisai.

Voilà ce que ça donne.

* * *

Bonjour, Monsieur Castex. Comment allez-vous ?

Vous n’avez pas honte, Monsieur Castex ?

De quoi ? Vous voulez que je vous dise, de quoi je pense que vous devriez avoir honte, Monsieur Castex ? N’ayez pas peur, je ne suis pas violent – je suis ingénieur informaticien, c’est vous dire si je suis inoffensif. Vous avez quelques minutes ? Une minute et demie par station, ça nous laisse un peu de temps.

Allons-y par ordre chronologique.

À la base, vous êtes un énarque et un haut-fonctionnaire. Vous avez choisi le service de l’État, le service du peuple français, le service de l’intérêt général. C’était tout à votre honneur. C’est admirable. Moi-même, je n’ai pas choisi cette voie jadis, et j’ai parfois eu des remords, mais c’est pas le sujet, je suis rien. Le problème, c’est que vous avez trahi tout ça. Vous avez trahi l’intérêt général. Vous avez trahi le pays.

Laissez-moi développer, s’il vous plait.

Dans les années 2000s, vous avez été l’un des architectes du démantèlement du système de santé français. Certes, vous n’avez pas été le seul. Nombreux ont été, depuis Alain Juppé en 1995, les Premiers Ministres, les Ministres, les hauts-fonctionnaires et autres hommes de pouvoir qui ont entonné les grands couplets : la santé n’a pas de prix, elle a un coût… ; la France n’a pas les moyens de… ; la France n’a plus les moyens de … ; il faut faire des sacrifices ; il faut tenir les objectifs budgétaires européens ; et tout le bazar. Mais vous étiez au sommet de cette cohorte. Vous avez occupé des rôles-clefs, comme directeur des hospitalisations, puis comme directeur de cabinet de plusieurs ministres de la santé. Et vous avez été le grand architecte de la fameuse « T2A », la « tarification à l’acte », qui a durablement désorienté les hôpitaux de ce pays sous prétexte de « gérer l’hôpital comme une entreprise ». Vous n’avez pas honte de la T2A, Monsieur Castex ?

Sur les deux premières décennies de ce siècle, la population de la France est passée de 60 à 67 millions, soit +11%. Pendant la même période, le nombre de lits d’hôpitaux est passé de 480.000 à 400.000, soit -17%. Même en 2020, année de pandémie – la chronologie nous y ramènera –, plus de 5.000 lits d’hôpitaux ont été fermés. Même pendant la pire crise sanitaire depuis des décennies, le cap a été maintenu : casser le système de santé du pays, réduire les coûts, réduire les moyens, fermer des lits, diminuer et rabaisser le personnel soignant. Vous n’avez pas honte de ce carnage, Monsieur Castex ?

En 2010, vous avez rejoint l’équipe du Petit Président Sarkozy à l’Élysée, et en février 2011, vous avez été promu Secrétaire Général Adjoint, c’est-à-dire numéro 3 de cette fine équipe. C’est aussi en février 2011 que Sarkozy a déclenché l’une des plus belles saloperies de son riche quinquennat : la guerre en Libye. Une guerre personnelle contre son ancien ami et bailleur de fonds Kadhafi. Une guerre meurtrière, qui a ruiné un pays. Une guerre qui a durablement déstabilisé une grande partie de l’Afrique. Une guerre qui a décrédibilisé la France aussi sûrement que la guerre d’Irak avait décrédibilisé l’Amérique. Vous avez servi dans cette équipe. Vous avez servi ce Petit Président. Vous n’avez pas honte d’avoir fait partie de cette équipe dont plusieurs membres sont aujourd’hui en prison, comme Claude Guéant, Secrétaire Général jusqu’en février 2011 ? Vous n’avez pas honte de la guerre en Libye, Monsieur Castex ?

Passons au Covid-19. Partons de la débâcle de l’hiver 2020. Début mars 2020, la France s’est découverte incapable de faire face à la pandémie de Covid-19, faute de moyens. Notamment les masques : 714 millions en stock en 2017, 117 millions début 2020, bravo ! Faute plus généralement d’équipements adaptés, faute de moyens – des moyens méticuleusement liquidés pour faire des économies, pour être agiles, pour votre T2A et autres billevesées, encore bravo, cette débâcle vous doit beaucoup. Vous n’avez pas honte de la débâcle de mars 2020, Monsieur Castex ?

Il se trouve que, pour une fois, le 16 mars 2020, le Petit Président Macron a pris une bonne décision : le premier confinement. Un vrai confinement, long, rigoureux, qui a eu le mérite de casser les chaînes de contamination. Vous entrez en scène en avril 2020, quand vous êtes nommé « Monsieur Déconfinement ». Un très grand succès, votre plan de déconfinement : tous les gens qui en avaient les moyens ont pu se précipiter en vacances, youpi, et puis dès le retour des vacances, il a fallu reconfiner, et enchaîner les nouvelles vagues. La première vague avait été brisée ; vous avez préparé le terrain aux suivantes. Du grand art. Vous n’avez pas honte de l’échec de votre plan de déconfinement, Monsieur Castex ?

Vous n’en avez probablement pas honte, parce que votre action comme « Monsieur Déconfinement » vous a valu d’être nommé Premier Ministre, en juillet 2020, quand Manu Tchoupi a décidé de virer Doudou. Une promotion inespérée, probablement. Qu’en avez-vous fait ? Vous avez passé l’été à préparer un « plan de relance », dont vous avez offert la primeur à l’université d’été du Medef. Certes, ce plan était avant tout un paquet de cadeaux au patronat. Certes, c’est devenu presque une tradition pour les Premiers Ministres d’aller s’agenouiller devant les capitalistes fin août, mais vous ! Vous, le haut-fonctionnaire, vous, le grand commis de l’Etat, vous, le super-technocrate ? Vous considérez que l’intérêt général, au fond, c’est juste les profits des grosses entreprises et la rémunération de leurs actionnaires ? Vous n’avez pas honte d’être allé prêter allégeance à ces pourceaux, Monsieur Castex ?

Revenons au Covid-19. Détaillons. Les morts, les mutilés, et les gens rendus à moitié fous par toutes ces années. Un fléau que vous n’avez jamais sérieusement envisager d’éradiquer – vous avez juste voulu que le pays apprenne à vivre avec ce fléau. Qu’importent les conséquences, quoi qu’il en coûte, pourvu que l’économie tourne, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas honte, Monsieur Castex ?

Les morts – plus de cent cinquante mille morts pendant votre passage au sommet de l’État. Vous ne vous êtes jamais excusé publiquement, à ma connaissance. Vous n’avez jamais fait acte de contrition, de remords ou juste d’humilité. Au contraire, comme le Petit Président Manu, comme vos Ministres, vous avez régulièrement étalé arrogance et aplomb, le record revenant à Monsieur Véran en décembre 2021 : « Nous freinons le variant Omicron efficacement. » Jamais d’auto-critique. Jamais de remords, de regrets, de modestie. Vous n’avez pas honte des morts du Covid, Monsieur Castex ?

Les mutilés – j’appelle mutilés du Covid-19 les « Covid-longs ». Les gens qui garderont à vie des séquelles de cette saloperie que vos plans successifs de semi-confinements, auto-reconfinements, déconfinements, finement cons, ont laissé circuler. Combien sont-ils en France ? Combien de Covid-longs en France, Monsieur Castex ? La dernière fois que j’ai cherché, je n’ai pas trouvé d’études sérieuses pour la France – les études sérieuses au Royaume-Uni, pays généralement comparable à la France, parlent de plusieurs centaines de milliers de personnes. Pourquoi pas d’études en France ? Et pourquoi aucun plan pour préparer la prise en charge des pathologies à venir ? Vous n’avez pas honte des mutilés du Covid, Monsieur Castex ?

Les gens rendus fous par toutes ces années – c’est une journaliste allemande, Annika Joeres, correspondante de Die Zeit, qui dès novembre 2020 a inventé l’expression qui résume le mieux votre gestion de la pandémie, votre empilage de mesures délirantes et inefficaces : Autoritäres Absurdistan, Absurdistan Autoritaire. Un art consommé de prendre les gens pour des cons. La valse des rayons de produits fermés parce que pas essentiels une semaine, puis ouverts parce que essentiels la semaine suivante. Les injonctions contradictoires et autres nudges (nudge, en français : doigt d’honneur ?). Votre Ministre du Travail qui proclame qu’on ne se contamine pas au travail. Votre Ministre de l’Education Nationale – qu’il brûle en enfer – qui proclame qu’on ne se contamine pas à l’école. Vos Ministres et autres princes de la pensée magique qui continuent à communiquer sur le gel hydroalcoolique alors que le virus se transmet par aérosols. Le couvre-feu pour « lutter contre l’effet apéro ». Votre dénigrement du FFP2 l’hiver dernier. Votre refus de tout effort national significatif pour la qualité de l’air. Etc, etc, etc. Des conneries, des conneries, des conneries. Et, à la fin, des gens, impossible de compter les gens perdus, impossible de quantifier les gens usés, les gens épuisés, les gens rendus à moitié fous par vos conneries. Vous n’avez pas honte de toutes ces conneries, Monsieur Castex ?

Le mot « connerie » est d’ailleurs parfois trop faible. Gardons-le pour l’attestation de sortie dérogatoire à remplir soi-même pour s’autoriser à sortir mais pas plus de un kilomètre une heure et avec une bonne raison et si vous cochez pas la bonne case c’est 135 euros d’amende. Pour le pass sanitaire, le mot est beaucoup trop faible. Avec le pass sanitaire, vous avez créé de toutes pièces une classe de sous-citoyens, de boucs émissaires, de parias. Vous avez fracturé la nation d’une manière inédite depuis 1945. En janvier 2022, votre maître, le Petit Président Macron, a eu cette formule inouïe en tant que chef d’un Etat démocratique, désignant à la vindicte plusieurs millions de citoyens supposés libres et égaux : « J’ai très envie de les emmerder. » Vous n’avez pas eu honte, ce jour-là, Monsieur Castex ?

 

Et puis il y a les mensonges. On aurait pu parler d’erreurs de bonne foi, mais comme vous ne reconnaissez jamais vos erreurs, il faut parler de mensonges. Ces slogans auxquels vous n’avez pas renoncé en dépit de toutes les évidences. Ces « éléments de langage » que vous et vos grouillots ont répété comme des perroquets. « Tous vaccinés, tous protégés » « Quand on est vacciné, on ne peut plus être contaminé », etc. Et ne me faites pas passer pour un anti-vax ou assimilé : j’admire les technologies ARNm, je suis à jour de mon schéma vaccinal, Pfizer en mai 21, Pfizer en juin 21, Moderna en janvier 22, Omicron en mai 22, j’ai eu toutes mes doses. Et, comme vous le voyez, en ce beau mois de septembre 22, je fais partie des 10% de franciliens qui mettent encore un masque dans le métro les jours de présentiel. D’ailleurs, il est où votre masque ? Si vous voulez, je peux vous en filer un, j’en ai toujours d’avance dans mon sac. Vous croyez peut-être qu’il n’y aura pas de huitième vague ? Vous croyez encore aux mensonges du gouvernement dont vous ne faites plus partie ? Vous n’avez pas honte de tous ces mensonges, Monsieur Castex ?

Terminons par ce que vous considérerez sûrement comme un détail, Monsieur Castex, voire moins qu’un détail. Avez-vous une idée de votre bilan carbone, Monsieur Castex ? Votre dernier acte politique aura été, lors des deux dimanches de l’élection présidentielle, de vous offrir un petit aller-retour Paris – Perpignan en jet gouvernemental. Oui, c’était un acte politique, Monsieur Castex. Comme l’a été le démontage par votre gouvernement des demi-mesures proposées par la « Convention Citoyenne pour le Climat ». Comme vos coups de mains aux industriels les plus climaticides. Vous êtes sûrement incollables sur les performances financières des porcs du CAC40, mais vous n’avez cessé de démontrer votre dédain pour la donnée scientifique majeure de notre temps : le taux de CO2 dans l’atmosphère. Nous n’avons que quelques années d’écart. Nous sommes nés dans un monde à 315-325 ppm de CO2, Monsieur Castex, et nous vivons aujourd’hui dans un monde à 415-425 ppm. Vous n’avez jamais ça en tête ? Vous ne pouviez pas voter par procuration, ou voter à Paris, ou prendre le train ? C’était tellement indispensable de relâcher quelques tonnes de CO2 en plus ? Et tant pis pour l’exemplarité ? Et tant pis pour les écosystèmes ? Vous n’avez pas honte de votre bilan carbone, Monsieur Castex ?

Bref, je descends à la prochaine, et, pour paraphraser un peu un de vos prédécesseurs à Matignon, Emile Beaufort, je vous demande pardon, Monsieur Castex. À l’énoncé de toutes ces hontes, je réalise la folie de mon entreprise. En vous présentant mes griefs, je ne vous demandais pas seulement votre attention. Je vous demandais d’oublier ce que vous êtes. Un instant d’optimisme.

Pensez à mettre un masque la prochaine fois, vous diminuerez le risque de diffusion, et vous passerez un peu plus inaperçu.

Bonne journée.

 

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