Playlist – Hiver 2021

Il fait beau. Je n’arrive pas y croire. L’hiver 2021 a duré bien plus que trois mois. Certains historiens font durer le XIXème siècle de mai 1789 à juillet 1914 : l’hiver 2021 restera pour moi une longue période absurde qui va d’octobre 2020 à mai 2021, soit sept à huit mois. Je ne sais pas ce qui a été le plus dur, la question n’a probablement pas de sens, tout ça n’est qu’un exercice inepte de narcissisme, mais le mois de mai 2021 a été l’un des pires. Je suis fatigué. Je suis crevé. Je suis las.

On va dire que c’est le passé. On va dire que c’est passé. On a tenu. Ça a tenu. J’ai tenu. Je me demande parfois, à quoi bon, mais j’ai tenu. La vie continue – elle ne s’est jamais arrêtée.

C’est l’été. L’été météorologique commence le 1er juin ; l’été astronomique commence le 21 juin.

Il fait beau. Presque toutes les mesures « sanitaires » ont été levées. J’aurai ma deuxième dose de vaccin dans les premiers jours de l’été astronomique. La deuxième vague est finie. Je n’arrive pas à y croire. On y est presque.

On va essayer de faire comme tout le monde : penser à la suite, penser aux vacances, penser à soi. On va sauver les apparences. On va essayer de faire comme tout le monde, c’est-à-dire au fond ne pas penser, ou ne pas trop penser. Ignorance is bliss.

Ce billet, cette « playlist » est une énième tentative pour exorciser l’hiver 2021.

Boy Harsher – Lost (2019) [YouTube] [Spotify]

En décembre 2021, quand Spotify me rappellera que, comme ses confrères 2.0, il connaît ma vie mieux que moi, il me dira que c’est la chanson que j’ai le plus écoutée en 2021. De loin. De très loin.

Qu’est-ce que je serai en décembre 2021 ? Je n’en sais rien. Mais je sais ce que je voudrais être.

Firechild – Equinoxe 11 (2019) [YouTube] [Spotify]

Apparu dans mon univers par la magie des algorithmes de YouTube, Firechild, aka Mr FireChild, un Suédois a priori totalement inconnu, transfigure Equinoxe 7. Et le ciel sait quelle fascination je porte à Equinoxe 7, un des sommets de la grande époque de Jean-Michel Jarre (il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine – en 1978).

YouTube grouille de « covers » et autres dérivations d’Equinoxe 7. Certaines sont intéressantes. La plus instructive est due à ThomasH : How they did it back in 1978. La plus réussie, à mon humble avis, due à SpeedFreek67 (un Alsacien ou un quinquagénaire, probablement ?), avec en bonus, pour ceux qui regardent les images, des jolies vues de la Station Spatiale Internationale.

Equinoxe 11 n’est pas une simple « cover », reprise ou adaptation, d’Equinoxe 7.

Il y a ce qui fait le cœur battant d’Equinoxe 6 et 7, cette pulsion désespérée acculée au mur, livrée à elle-même, qui se bat et se débat, et qui finit par partir à la conquête du monde.

Il y a quelque chose qu’il n’y a pas dans Equinoxe 7, un appel à suivre son étoile avant qu’elle ne s’échappe, une étoile filante, il faut faire un vœu, il faut forcer le destin. Avant qu’il ne soit trop tard.

Et puis à la fin d’Equinoxe 11, il y a le début d’Equinoxe 7, le cœur battant, le cœur seul, seul, qui tient, qui doit tenir, qui doit essayer de tenir. Le moment du choix. Le cap qu’il faut passer. Qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que ça va passer ? Est-ce que ça va s’arrêter ? Est-ce que ça va tenir ? Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Le silence est la forme ultime du mépris, et nous avons enduré votre mépris depuis deux siècles. Je vous donne trente secondes.

Silence is the greatest form of contempt, and we have put up with this contempt for two centuries. Now, if you wish, you can continue to remain silent. I will give you thirty seconds.

Équinoxe, version distanciation sociale :

She Past Away – Durdu Dünya (2019) [YouTube] [Spotify]

C’est du turc. C’est du bien lourd. C’est monumental. J’adore.

Je ne comprends pas les paroles, mais on trouve des traductions sur le Web. Ça parle d’un monde qui s’arrête. Je n’ai découvert cette chanson qu’en mars 2021, ça date de mai 2019, et ça semble parler de mars 2020.

Durdu dünya
Yokluğunda, yokluğunda
O aynı his
O aynı yanılsama

The world halted
In your absence, in your absence
That same feeling
That same illusion

Je regarde rarement les clips vidéos des chansons que j’écoute. Mais ça m’arrive. Et parfois je tombe sur un clip genre WTF en mode « vaut le détour », comme disent les jeunes. En voici un bel exemple. C’est du brutal.

Alan Silvestri – The Avengers (2012) [YouTube] [Spotify]

J’aime bien les musiques de film en général. Je suis bon public. Ce thème-ci n’est pas particulièrement impressionnant en lui-même, mais ce qui compte c’est ce qui s’y rattache pour moi. Dans le cas de « Captain America: First Avenger », comme de « The Avengers », j’ai déjà écrit ce que j’en ai retenu.

— Sir, shall I call Miss Potts?
— Might as well.

On a vu « Infinity War » il y a quelques jours. On verra « Endgame » dans quelques semaines ou dans quelques mois. Et, non, non et non, je n’en dirai pas plus.

— Steve? Steve?

Galatée – Let them drink champagne! (2015) [YouTube] [Spotify]

Encore un truc totalement inconnu, encore plus OVNI que d’autres OVNIs, je n’ai pas trouvé grand-chose sur ces braves gens sur le Web, et c’est pas grave. J’ai écouté à peu près toute leur œuvre sur Spotify et sur YouTube, c’est délicieux, mais ce morceau-ci est un peu au-dessus du lot, champagne oblige, sans doute.

Je ne sais même pas en quelle langue ils chantent. J’ai cru reconnaître des mots en français, si c’est de l’anglais je n’ai rien compris, et je ne parle pas espagnol. Les paroles (« lyrics ») ne sont nulle part sur le Web, en tout cas j’ai pas trouvé, j’ai peut-être pas assez cherché, mais ça n’a aucune importance. Peut-être que ces artistes ont de bonnes raisons de se cacher. Peu importe. Leurs compositions sont superbes.

Qu’importe le flacon, parfois, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Moby – Extreme Ways (Bourne’s Ultimatum Edition) (2007) [YouTube] [Spotify]

La trilogie Jason Bourne c’est l’adaptation cinématographique dans les années 2000s des romans de Robert Ludlum des années 1980s. J’avais raté ces films à l’époque de leur sortie, je les ai découverts cet hiver grâce à Netflix, et ils m’ont agréablement surpris (les quatre premiers, le cinquième m’attend encore – car au final c’est devenu une trilogie en cinq films).

J’avais lu les livres (il n’y en a eu que trois) au début des années 1990s – j’ai beaucoup lu de Ludlum à l’époque – « L’Agenda Icare » étant mon préféré. Je ne me rappellerai jamais si Jason Bourne a inspiré XIII, ou si c’est le contraire, autrement dit si Jean Van Hamme a été soupçonné d’avoir plagié Robert Ludlum, ou si c’est le contraire, ou les deux à la fois, ou pas, peu importe.

Je craignais qu’au cinéma ça ne donne qu’une énième série de films bourrins. À l’arrivée, ces films hollywoodiens ont certes leurs quotas de bourrineries, mais ils ne sont pas que ça. Peut-être la présence de Robert Ludlum parmi les producteurs a-t-elle aidé à sauver l’essentiel. Ce sont des films d’espionnage au moins autant que des films d’action. C’est bien mené. C’est suffisamment compliqué. Matt Damon est parfait dans le rôle de cet homme qui ne sait pas qui il est ; qui découvre progressivement ce dont il est capable, ce pour quoi il a été entraîné, surentraîné, programmé, aguerri, blindé ; et qui devient lui-même sans jamais complètement savoir qui il a été. Certaines parts d’ombre restent assumées, chez lui et chez d’autres. Et la dimension labyrinthique de certaines grandes villes est fort bien exploitée : Paris, Londres, Berlin, Moscou, New York.

Avoir choisi « Extreme Ways » de Moby pour le générique de fin m’a beaucoup touché. Dans le premier, ça surprend agréablement. Dans le deuxième, on l’attend complètement tant on a compris à quel point le sens de la chanson colle avec le sens du film. Dans le troisième et quatrième, on a droit à des versions améliorées et adaptées, et elles participent à la finition de l’œuvre. « Extreme Ways », comme « In This World », ça vient de l’album « 18 », sorti en 2002, ça colle pour moi avec les plus noires de toutes ces années noires du début du XXIème siècle. S’accrocher, toujours s’accrocher. Tenir, toujours tenir.

La trilogie Jason Bourne, c’est l’histoire d’un homme qui ne sait pas qui il est, qui a survécu contre toute attente, ce n’était pas prévu qu’il survive, ce n’était pas prévu que sa vie continue, mais il est quand même là, et il veut vivre. Il est là. Il est juste là.

I had to close down everything
I had to close down my mind
Too many things to cover me
Too much can make me blind
I’ve seen so much in so many places
So many heartaches, so many faces
So many dirty things
You couldn’t even believe
I would stand in line for this
There’s always room in life for this

All day, all day
Then it fell apart, it fell apart
Like it always does
Like it always does

AC/DC – Thunderstruck (1990) [YouTube] [Spotify]

« Thunderstruck » est un classique !

C’est une musique pour rentrer sur une autoroute, monter les vitesses, aller vite, aller de plus en plus vite, rêver de passer le mur du son, rêver d’échapper à tout ce qu’il y a derrière, fuir, fuir, vite, très vite.

C’est une illustration du concept physique de « vitesse de libération » — pour la planète Terre, c’est 11,2 km/s, alors que sur l’autoroute de l’Est ça reste limité à 130 km/h, c’est très dommage.

Ne jamais se retourner. Il faudrait pouvoir ne pas se retourner.

Alan Brando – Love Is a Fantasy (Instrumental Mix) (2020) [YouTube] [Spotify]

Casarano – Long Ago (Short Fast Version) (2016) [YouTube] [Spotify]

Ken Martina – Another Melody (Instrumental Alan Brando Mix) (2020) [YouTube] [Spotify]

J’ai consommé beaucoup d’ « Italo Disco » pendant l’hiver 2021. C’est parti de la miraculeuse playlist « Italo Fantastico Mixato », trouvée sur YouTube en octobre, supprimée en décembre, ressuscitée depuis. J’en ai consommé des tonnes.

J’ai aussi consommé, pendant tous ces mois d’enfermement volontaire absurde, beaucoup de faux sucre (pastilles blanches « sucralose ») avec du faux café (dosettes bleues « decaffeineto ») démesurément allongé (on peut faire de l’americano avec une Nespresso, c’est juste deux longo). Du faux sucre, du faux café, de la fausse vie, de la fausse musique ? Certes, mais j’ai besoin, j’avais besoin, j’ai encore besoin de goût sucré, j’ai besoin de l’arôme du café, j’ai eu besoin de ces mélodies sirupeuses, j’ai eu besoin de me raccrocher à ça. Ces musiques sont une forme de sucre, de douceur, de compensation, de dessert. J’ai une faiblesse pour les versions instrumentales parce qu’elles enlèvent les paroles idiotes en mauvais anglais : peut-être qu’elles sont encore plus fausses que les originales, et alors ? Tout ça est faux ? Tout ça est nul ? Tout ça est vulgaire ? C’est des drogues légales ? C’est abrutissant ? Peut-être mais j’aime ça. J’ai aimé ça. Ça m’a permis de tenir. Ça m’a aidé. Il fallait tenir.

Le tout-venant a été piraté par les mômes. Qu’est-ce qu’on fait ? On se risque sur le bizarre ?

Par parenthèse, à l’intersection du WTF, de l’Italo Disco et des vestiges grandiloquents des années 1980s, je recommande « USSR », du dénommé Eddy Huntington, en 1989. Fallait oser, quand même, des clips comme ça ou ça. C’est très dangereux l’intersectionnalité !

Marco Beltrami – Like A River Around A Rock (2013) [YouTube] [Spotify]

J’ai découvert « World War Z » sur le tard, par hasard, bien après sa sortie, mais avant le Covid-19. Encore un film dont je n’attendais pas grand-chose, et qui m’a agréablement surpris. C’est un peu plus qu’un bon divertissement. Les cinq dernières minutes, en particulier, du Pays de Galles à la Nouvelle-Écosse et au vaste monde, sont très réussies. Le final, que couvre cette musique. Les deux ou trois dernières minutes surtout.

J’y vois une métaphore pour beaucoup de choses. Cet hiver 2021 en particulier, j’y ai vu une métaphore pour la chute de Trump, et le recul provisoire, partiel et relatif du fascisme étasunien, amorcé le 20 janvier 2021. On peut y voir une métaphore pour d’autres choses.

Ces deux ou trois minutes racontent la fin qui n’est pas vraiment la fin. La résolution qui ne résout pas grand-chose. La gangrène qui est toujours là. La malédiction. La damnation. La lutte.

This isn’t the end. Not even close. We’ve lost entire cities. We still don’t know how it started. We bought ourselves some time. But it’s given us a chance. Others have found a way to push back. If you can fight, fight. Help each other. Be prepared for anything. Our war has just begun.

Ce n’est pas la fin. Loin de là. Nous avons perdu des villes entières. Nous ne savons toujours pas comment ça a commencé. Nous avons juste gagné du temps. Mais ça nous a donné une chance. D’autres ont trouvé des moyens de reprendre le dessus. Si vous pouvez vous battre, battez-vous. Aidez-vous les uns les autres. Soyez prêts à n’importe quoi. Notre guerre a juste commencé.

Ce n’est qu’un film. Ce n’est qu’une fiction. Ce n’est qu’une métaphore. C’est pas grave. C’est l’été.

Au cours de sa première année, le Covid-19 a tué dix millions d’êtres humains, et a mutilé des dizaines de millions d’êtres humains. En cette fin de printemps 2021, 20% de l’humanité a reçu au moins une dose d’un vaccin, 10% est supposé complètement vacciné, et bien malin qui peut dire quelle proportion de l’humanité est vraiment immunisée.

Mais c’est pas grave, rien n’est grave. Tout va mieux, tout va bien, on a même une Coupe d’Europe de football, qu’on a décidé d’appeler Euro 2020 alors qu’on est en 2021, probablement pour de sordides raisons commerciales, c’est pas grave, rien n’est grave. L’atmosphère va dépasser officiellement les 420 ppm de CO2, quand on a commencé à mesurer il y a soixante ans on était à moins de 320, mais c’est pas grave, rien n’est grave. Un leader néo-fasciste peut affirmer tranquillement à la télévision, sans être carbonisé par la foudre, que « le C2O, ça a été divisé par mille depuis les années soixante », c’est pas grave, rien n’est grave. C’est l’été. Il fait beau. Youpi.

All day, all day
Then it fell apart, it fell apart
Like it always does
Like it always does

Bon été 2021 à toutes et à tous.

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