Ce blog a dix ans

Je suis repassé il y a quelques jours devant le bâtiment où je travaillais il y a dix ans, le bâtiment dans lequel j’ai créé ce blog. Ce bâtiment est, depuis quelques années, en travaux, pour rénovation complète, et apparemment aussi pour agrandissement. Le quartier est méconnaissable – les vieux pavillons, les arbres, le sentier, tout ça a disparu, en attendant la suite. Le temps passe.

Quant au hasard des jours
Je m’en vais faire un tour
À mon ancienne adresse…

2012

Je me souviens un peu de la matinée où j’ai commencé ce blog, dans cet énorme tas de bureaux. Je me souviens que, cet après-midi-là, ce lundi de décembre 2012, j’ai dû revenir chez moi précipitamment, récupérer ma fille à l’école, où elle avait fait une mauvaise chute, et l’emmener aux urgences de l’hôpital de ma commune, où un médecin a confirmé qu’elle n’avait rien de grave. Les années suivantes, j’ai eu la chance de ne pas avoir à retourner aux urgences de cet hôpital, jusqu’à un dimanche de juillet 2021. C’était il y a dix ans.

Je me souviens un peu de l’époque. Le début de la deuxième décennie du XXIème siècle. La mauvaise digestion de la crise de 2008. De grandes illusions. Le premier petit président, le deuxième petit président, et le troisième, le pire, déjà dans l’ombre du deuxième. L’amorce du déclin, le début du pillage. Le monde qui change imperceptiblement autour de moi. Il y aurait énormément à écrire sur cette époque. Je trouverai sûrement bien des choses possiblement intéressantes à en rapporter.

Je me souviens de tellement de choses, mais elles ne signifient probablement pas grand-chose. Croire qu’on a beaucoup de mémoire est futile, car par définition on ne se souvient pas de ce dont on ne se souvient pas. Mais, faute de mieux, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Au royaume des aveugles…

Je me souviens de comment, à cette époque, les engins du diable ont commencé à rentrer dans ma vie, comme dans celles de beaucoup de mes semblables. Mon premier iPhone en septembre 2010. Mon premier « réseau social » — Facebook en septembre 2010, même si j’ai commencé sur l’abomination appelée LinkedIn dès 2005. Ma première photo envoyée avec mon iPhone par E-mail sur réseau mobile – le mariage de mon frère en octobre 2010. Mon premier compte Twitter en février 2011 (« à quoi ça sert ? à rien… ») ; d’autres comptes Twitter en février 2012 ; ce blog en décembre 2012. Des jouets, des tablettes, des jeux, des écrans. Des interstices de temps du cerveau disponible. Des hallucinations consensuelles vécues par des millions d’âmes…

Ce blog a dix ans. J’aurais dû le commencer dix ans plus tôt, quand c’était à la mode, mais peu importe. Je n’ai jamais été à la mode. La mode, c’est ce qui se démode. Être dans le vent, c’est avoir un destin de feuille morte. (Oui, ces deux dernières phrases sont des citations non-sourcées. Ça arrive.)

Ce blog a dix ans. « La Chose » – comme l’appelle celui de mes meilleurs amis qui est son parrain implicite, et qui est aussi le parrain de ma fille – , la Chose a dix ans.

2012 – 2022

Dix années à écrire de temps en temps. Pas grand-chose : un billet, ce n’est que mille à quatre mille mots. C’est toujours mieux qu’un tweet, mais ça ne fait guère une œuvre. Je suis rien.

Dix années à structurer, mettre en forme, chercher mes mots, trouver mes mots, aligner mes mots. Plus ou moins maladroitement, élégamment, efficacement, mais toujours, toujours, toujours discrètement. Secrètement. Anonymement. Il ne faut pas que ça se voie.

Dix années à écrire, ici et sur Twitter, sous pseudonyme, tout ce que je ne peux pas dire ou écrire ailleurs, sous mon « vrai nom », avec ma « vraie identité », « à visage découvert ». Je n’ai pas de visage.

Dix années à écrire toutes sortes de choses que je ne peux pas vraiment dire ailleurs, nulle part. Tout ce qui ne sert à rien dans la vie réelle, parait-il. Tout ce qui ne devrait pas exister. Je fais quand même des tests, de temps en temps. J’essaie. Je vérifie. Le Piège de Thucydide ? Tout le monde s’en fout. L’anthropocène ? Tout le monde s’en fout. Régis Debray ? Tout le monde s’en fout. Emmanuel Carrère ? Tout le monde s’en fout. 1914 ? Tout le monde s’en fout. L’effondrement ? Tout le monde s’en fout. Kim Stanley Robinson ? Tout le monde s’en fout. Tout le monde s’en fout, tout le monde s’en fout, tout le monde s’en fout. Au mieux, tout le monde s’en fout. Au pire, ça met mal à l’aise. Ça gêne, ça dérange, ça saoule. Fous-nous la paix avec tes conneries !

Il n’y a pas de place pour tout ça. People in this world we have no place to go.

C’est pour ça que j’écris.

Dix années comme ça, plus les précédentes, en attendant les suivantes. Dix années à écrire, dans l’ombre et dans les interstices, quand c’est possible, après tout le reste, faute de mieux. C’est absurde, je le sais, je l’ai déjà dit, je l’ai déjà écrit, je l’ai déjà analysé, je ne sais pas si c’est sans solution, je sais juste que je n’ai pas trouvé de solution. Et ça fait dix ans que ça dure.

I’ve spent a million days
I’ve had many darker days
I’ve tried everything to block out the pain
But it just seems to haunt me
In every possible way

Alors ce blog aura été une pile de pensées, d’idées, de pistes de lecture et de pistes d’écriture, entre quarante et cinquante ans environ, et dans quelques années un peu plus. Ce blog aura été un testament anticipé. Ce blog aura été une caisse de bouteilles à la mer. Qui, comme la plupart des bouteilles à la mer, finiront au fond des océans, brisées contre des rochers, oubliées et perdues, bon appétit les poissons. On ne se souvient pas de ce dont on ne se souvient pas. L’existence précède l’essence.

2022

J’ai beaucoup ralenti ces dernières années – surtout depuis juillet 21. Je n’en suis plus qu’à un billet par mois, en général en fin de mois, parfois je dois vraiment me forcer, je me dis que si je lâche un mois, je lâche tout, c’est probablement faux, mais on tient comme on peut. Je ne sais pas si je vais continuer. Je ne sais pas combien de temps encore je vais continuer. Probablement pas dix ans. De toutes façons, il faut juste que je tienne encore trois ans. On verra bien. Qui vivra verra.

Il faudrait peut-être juste relire, indexer, approfondir, valoriser (je vais vite, mais ces mots ont un sens, je ne les choisis pas au hasard : relire, indexer, approfondir, valorise). Sur 692 billets, il y en a peut-être une dizaine, ou une centaine, qui mériteraient un peu d’activité. Oui, mais…

Il faudrait du temps. Le temps, c’est ce qui manque le plus.

Il faudrait aussi une certaine motivation, ou, plus précisément, toutes ces choses dont j’ai découvert au fil des dernières années à quel point elles me font défaut. C’est peut-être du jargon de « développement personnel », mais c’est aussi parfois des réalités : affirmation de soi, estime de soi, amour de soi, acceptation de soi. Si vous saviez à quel point je me déteste, au fond et depuis toujours. On ne guérit probablement jamais de la haine de soi.

Kiss me until my lips fall off
Kiss me until I start to rot
Kiss me until kingdom come
Forever, forever

Pour le reste, l’avenir n’est pas écrit. Je continuerai à écrire, si j’y parviens. Je continuerai à publier, en essayant de ne publier que ce qui peut présenter un intérêt et une lumière. J’essaierai. Les pires billets, j’essaierai de ne pas les publier. « La dernière lettre », elle est datée d’octobre 25, elle a été écrite en août 22, à peine augmentée depuis. On verra bien. Qui vivra verra.

Avec le temps tout s’en va, avec le temps rien ne va
Des visages qu’on oublie, et d’autres qui s’oublient pas
Avec le temps, y a des Rimbaud qui fuient écrire ailleurs
Les mots qui font battre les cœurs

Quel lien entre Yves Simon, né à Choiseul (Haute-Marne) en 1944, Arthur Rimbaud, né à Charleville (Ardennes) en 1854, et Georges Simenon, né à Liège (Belgique) en 1903 ? La Meuse. Mon goût pour les fleuves et les rivières me perdra. « Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais » ? J’aurais bien aimé, mais je ne savais pas ce que je voulais.

Je vous remercie de votre attention.

Je vous souhaite une bonne fin d’année 2022.

Je vous embrasse.

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2 commentaires pour Ce blog a dix ans

  1. Joyeux Anniversaire ! J’espère vous lire encore au moins 10 ans de plus 😉

Tous les commentaires seront les bienvenus.