Playlist – Hiver 2022

Depuis l’été 2021, j’ai du mal à écrire, j’ai aussi du mal à lire, mais j’écoute encore.

Ce billet est une collection de sons de l’hiver 2022, un playlist comme on dit maintenant, en écho à celle de l’hiver 2021, sans garantie qu’il y aura un hiver 2023. Je n’ai plus guère de mots à partager, encore moins d’images, mais il reste quelques mélodies.

L’hiver 2021 avait été dominé par des playlists « Italo Disco », surtout la bien nommée « Italo Fantastico » ; l’automne 2021 et l’hiver 2022 ont été dominés par des playlists « Dark Wave ». Je ne savais même pas que tout ça existait il y a deux ans, j’ai découvert au fil des mois. Sans être un adorateur, j’aime bien, j’y trouve parfois mon compte.

Remerciements éternels à la personne appelée Yami Spechie (basée si j’ai bien compris au Pérou, à moins que ce ne soit à Hambourg) pour ses playlists YouTube, et notamment pour « Dark songs for darkwavers » et « Sad songs for sad goths ». It’s quite unlikely that Yami Spechie will ever read this post, yet I do want her to know how grateful I am for those playlists.

Jacques Brel (1929 – 1978) a jadis expliqué :

Faut rien regretter, revendique tes conneries, elles sont à toi. Et surtout, vis à fond. On vieillit trop vite. La sagesse, ça sera pour quand on sera dans le trou.

Faute de mieux, je vais me raccrocher à la chronologie.

Kill Shelter & Antipole – Raise the Skies (2021) [YouTube] [Spotify]

And this is only the beginning
The start of recklessness and pain
When everything comes crashing down
This is the start of it again

Il y a eu de l’espoir à l’automne 2021. J’avais repris des couleurs. J’étais presque prêt à me laisser happer par la propagande annonçant la fin du Covid. J’avais pu recommencer à circuler un peu, à aller au bureau, à aller à Paris, à voir des collègues, à voir des gens, à voir le spectacle de la vie, à me sentir vivant. Il y a eu des belles journées en cet automne 2021.

Vendredi 12 novembre 2021

Dark – Lovers in the Dark (2021) [YouTube] [Spotify]

Lovers in the dark
I don’t know, was it my pain you were looking for?
I don’t know at all, I couldn’t no more

Lovers in the dark
Lovers in the dark
But I don’t know, was it my pain you were looking for?
This pain will last forevermore

Je suis parfois naïf, candide ou optimiste : je pensais que l’hiver 2022 ne pourrait pas être pire que l’hiver 2021. Je me suis lourdement trompé.

Je voulais y croire.

Et puis l’hiver est vraiment arrivé, raide, brutal, dès la fin du mois de novembre 2021. Et puis un chantier imprévu, mais je ne pouvais pas me dérober, je serai toujours là, tant qu’on aura besoin de moi. Et puis des petites tuiles. Rien de bien grave, mais tout s’additionne. Ça m’a épuisé. Je suis arrivé à Noël physiquement exténué. Et la vague Omicron, annoncée, prévisible, niée, manipulée – la vague Omicron est arrivée.

Third Realm – Diabolic Crush (2012) [YouTube] [Spotify]

Mercredi 8 décembre 2021

Début décembre, j’ai volé une après-midi et je suis allé marcher, seul avec un vieux camarade, dans l’Est de Paris, dans la grisaille. C’était une après-midi d’hiver parfaitement typique et typiquement sinistre, mais qu’importe. On a marché, on a parlé, on a exploré. La ville. La ville, moche ou pas, était à nous. Sa vie à lui aussi n’a pas été marrante ces dernières années. Son père est mort l’an dernier. Son job le tue. La vie le dégoûte. Mais c’est mon pote. Pour toujours.

Gold Zebra – La Ville (2021) [YouTube] [Spotify]

On a terminé Place Gambetta vers 17 heures. Il ne faisait pas encore tout à fait nuit, j’avais un peu de temps devant moi. Je suis reparti, vers l’Ouest, en descendant vers le centre-ville par l’avenue Gambetta, puis en obliquant un peu vers la droite. La ville était calme. Il y a là quelques belles perspectives sur le vallon qui est devenu le Canal Saint-Martin et le fuseau ferroviaire de la Gare de l’Est, surtout à la nuit tombante. J’ai prolongé la promenade, descendant dans la ville sereine, me laissant engloutir par la ville. La nuit vraiment tombée, je me suis englouti dans un métro et je suis rentré — à la maison, c’est-à-dire au bureau, et réciproquement, tout ça c’est tellement pareil et tellement pas à moi.

Découvrir la ville sans toi
Me rappeler de souvenirs inconnus
L’odeur de café mi-noir
Un pas, deux pas, là-bas

Au détour d’un chemin parfois
On perd une partie de soi
J’observe, je sens, je vois
Un pas, deux pas, là-bas

Et puis la vague Omicron étant arrivée, ça a été retour au télétravail à 100%. Au télétravail à perpétuité. Perpétuité. La cage est dorée, et la roadmap est chargée. C’est la vie. « Y a l’Covid ! » « Tu vas où ? » « Faut pas sortir ! » « T’étais où ? » « Faut pas prendre de risques ! » « T’es inconscient ou quoi ? » « Pourquoi t’as pas déjà ta troisième dose ? »

Jeudi 6 janvier 2022

Le mois de janvier 2022 a été un long calvaire, enfermé, confiné, sombre. Le mois de février, guère mieux. Les détails n’ont guère d’intérêt. J’ai essayé de ne pas sombrer. Je n’ai pas le droit de craquer, alors je n’ai pas craqué. J’ai sauvé les apparences. J’ai vu WandaVision, discret hommage de Marvel à Ubik.

What is grief, if not love persevering?

J’ai trop bossé. J’ai repris le sport. Je me suis débattu, comme j’ai pu. Au fond, j’ai juste fait comme toujours : j’ai essayé de m’adapter. Je me suis perdu en m’adaptant. Comme toujours. C’est juste que, au cœur du cœur de l’hiver, c’est plus flagrant. Ça se voit plus. Mais autour du cœur, c’est pareil, juste moins net. Ça se voit moins. Mais au fond, c’est tout le temps pareil. Tous les jours sont pareils.

Toutes sortes de curiosités m’ont accompagné dans la traversée de cet hiver 2022, de toutes les couleurs.

Pitch Yarn Of Matter – Faults (2020) [YouTube] [Spotify]

Venu du Brésil, un cover presque parfait de « Your Silent Face », de New Order, que j’ai écouté en boucle des dizaines de fois, comme jadis l’original. Mais je dois avouer que je préfère les paroles originales.

A thought that never changes
Just remains a stupid lie
It’s always been quite the same
No hearing or breathing
No movement, no colors
Just silence

Riki – Napoleon (2019) [YouTube] [Spotify]

Nowhere to hide, the conqueror decides, but
Don’t panic, I won’t panic, don’t panic…

C’est frais, c’est joyeux, c’est californien, avec une grosse influence germanique et une pincée d’italo — sans parler de la référence à la Corse.

Paranormales – Vertigo (2020) [YouTube] [Spotify]

Ça doit être espagnol, je ne comprends pas ce qu’ils disent, peu importe, j’aime bien.

Clara Luciani – Respire Encore (2021) [YouTube] [Spotify]

Il faudra réapprendre à boire
Il faudra respirer encore

C’est frais, ça fait rêver, c’est français.

Nuovo Testamento – Prayers (2021) [YouTube] [Spotify]

Je comprends pas non plus, mais j’aime bien.

Boris Zhivago – Russian Fantasy (2016) [YouTube] [Spotify]

Italo Disco, crémeux à volonté, vous reprendrez bien un supplément guimauve ? Ben oui, n’importe quoi pour tenir, tenir, toujours tenir. S’accrocher à la vie, ou à ce qui y ressemble.

Michael Jackson – Smooth Criminal (1988) [YouTube] [Spotify]

Classico de chez classico. Ne rigolez pas, mais « Smooth Criminal » est un des premiers films que j’ai vu dans un vrai cinéma avec un vrai copain. Le film était pas terrible, on était pas nombreux dans la salle, oui mais c’était mon pote, et c’était nos conneries, à nous. Se rappeler qu’on a été jeune, qu’on a été vivant, qu’on aurait pu être vraiment vivant. S’accrocher à la vie, toujours.

Annie, are you okay?
Will you tell us, that you’re okay?

Depeche Mode – Just Can’t Get Enough (Schizo Mix) (1999) [YouTube] [Spotify]

S’accrocher à la vie, ou à ce qui y ressemble. En 1999, en 2022, avant, après, un pas, deux pas, là-bas. Et j’en suis pas fier. Mais qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Qu’est-ce que je peux faire d’autre de moi ?

Stromae – L’Enfer (2022) [YouTube] [Spotify]

Tu sais j’ai mûrement réfléchi
Et je sais vraiment pas quoi faire de toi
Justement, réfléchir
C’est bien le problème avec toi

Tu sais j’ai mûrement réfléchi
Et je sais vraiment pas quoi faire de toi
Justement, réfléchir
C’est bien le problème avec toi

C’est belge, c’est pas frais, c’est pas joyeux, mais c’est bien ce que j’ai eu dans la tête en cet hiver 2022. Quand j’ai entendu parler de cette chanson, je me suis tenu prudemment à l’écart. Un autre de mes meilleurs amis m’a dit qu’il lui a fait penser à moi, alors j’ai fini par aller voir. Évidemment, c’est moi. C’est moi à en pleurer. La chaîne culpabilité, et tout le reste. C’est comme ça. Et je finirai peut-être par admettre que je n’y peux rien. Et je finirai peut-être par admettre que ce n’est pas ma faute, que je ne suis pas coupable, que je n’ai rien à expier, que je ne dois pas avoir honte. « Il y a des gens dont le noyau est fissuré pratiquement depuis l’origine. »

Mortal Boy – Cave (2019) [YouTube] [Spotify]

In my dreams
I’m living without fear

In my dark space
I don’t have to get close to you
It saves me from all the hurt again
As I age, am I getting better?

Where do I find the strength to be open again
Maybe I’m just stuck in my cave forever

Et puis est arrivée la terrible semaine où la Russie est partie en guerre contre l’Ukraine.

Jeudi 24 février 2022

Pour moi, comme pour des millions de gens plus ou moins informés, ce fut un ébranlement considérable.  Comparable à, disons, un 13 juillet 2015, un 15 septembre 2008 ou un 11 septembre 2001. Peut-être eût-il mieux valu ne point être trop informé. Peut-être la Douceur de la vie n’est-elle juste plus structurellement possible. Maybe only ignorance is bliss.

Je voudrais être au temps où il pouvait se produire des révolutions chez les Moscovites, ou des guerres sur le territoire du Grand Turc, et où les bonnes gens de mon espèce n’en entendaient parler que trois ans après comme d’événements éteints, qu’on avait toute liberté d’esprit pour juger amusants et romanesques. Je ne reproche pas aux événements lointains d’avoir lieu ; je leur reproche de me concerner.

Si j’avais eu de l’énergie cette semaine-là, j’aurai certainement écrit un long billet rétrospectif et introspectif. Peut-être même plusieurs. Sur l’histoire récente de la Russie, de l’OTAN, des Empires, et sur le parcours de Vladimir Poutine. Surtout, un mélange de mise en perspective et d’auto-critique pour la poutinophilie désormais irrémédiablement déçue qui était parfois apparue sur ce blog – cf Vues hérétiques sur l’Ukraine en mars 2014, Le chantage à la modernité en juillet 2014, Contre la diabolisation de la Russie en décembre 2014, ou encore Hérésies faciles en milieu tempéré en octobre 2016. La russophilie, elle, est intacte. Et inquiète pour ceux qui sont là-bas, de part et d’autre. Ce sont des frères.

Il aurait fallu parler d’octobre 1993, d’août 1998, de juin 1999, de septembre 2001, de mars 2003, de novembre 2004, de février 2007, d’août 2008, d’octobre 2011, avant d’en arriver à novembre 2013, à février 2014, et à la longue spirale qui s’est dénouée le jeudi 24 février 2022. Mais je n’ai pas eu le temps, je n’ai pas eu l’énergie, et au fond, à quoi bon ?

Faisons court : Ceci n’est qu’un blog ; ce sont des frères ; Poutine est un monstre.

Otchim – Wendy (2020) [YouTube] [Spotify]

Que restera-t-il de cette dernière semaine de février 2022 ? Pour moi, jusqu’à ce que je l’oublie, il y aura une chanson improbable, arrivée par hasard dans mes oreilles. Otchim, Wendy : auteur inconnu, titre incompréhensible, morceau extraordinaire. « Génération vaincue » dit-elle. Cette chanson que j’ai écouté des dizaines de fois alors que la chute de Kiev semblait être une question d’heures, de jours, puis de semaines. Quand d’un seul coup, un monde s’effondrait, dans un fracas assourdissant et un ouragan de poussière. Dans ma tête, ce refrain, obsédant, surtout la deuxième fois. Et la dernière minute, dure, obsédante, interminable, comme un jingle de télévision en attendant qu’un journaliste reprenne l’antenne, pour annoncer le bombardement de Kharkov, la chute de Kiev ou la marche sur Odessa. En attendant la suite de la catastrophe.

Ces mots. Ce mot notamment : Vaincu. « Génération vaincue » !

Vaincu. Défait. Battu. Perdu.

Je suis l’enfant perdu d’une génération vaincue
J’écume ciel et terre, pour défier le corsaire
Ne ferme pas la fenêtre, je reviendrai un jour peut-être
Déposer un baiser dans ta réalité
Regarde derrière moi si tu aperçois mes ombres
Je te parle de problèmes qui me hantent en surnombre
Collectionne les fantômes bien avant qu’arrive l’automne
J’avance en reculant dans les profondeurs du néant

Et puis l’offensive russe s’est enlisée. Kiev n’est pas tombée, Kharkov non plus, et le carnage va durer.

Lundi 14 mars 2022

Et puis il y a eu l’enterrement du père d’un autre de mes meilleurs amis. Et puis il y a eu d’autres deuils, un peu plus loin de moi.

Et puis l’hiver 2022 s’est prolongé, en France jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle.

Dimanche 10 avril 2022

Jean-Michel Jarre – Calypso 3 (Fin de siècle) (1990) (Remastered 2015) [YouTube] [Spotify]

« Calypso 3 » date de 1990, c’est l’avant-dernier morceau du très court album « En attendant Cousteau », l’un des plus facilement oubliables de Jean-Michel Jarre. Prière de ne pas ricaner : même avec des tonnes de réserves sur le fond et sur la forme, je resterai jusqu’au dernier de mes jours fidèle à certaines musiques de Jean-Michel Jarre, comme à Kraftwerk et à quelques autres. C’est mes conneries à moi. C’est peut-être des conneries, mais c’est à moi.

« Calypso 3 » est l’avant-dernier morceau joué par Jean-Michel Jarre lors de son concert à La Défense le 14 juillet 1990. « Calypso 3 » a toujours fait résonner quelque chose en moi, sur la lourdeur, la dureté, la fatalité… toujours se relever… toujours continuer. Cycle après cycle. Itération après itération. « Fin de siècle », sous-titre du morceau original, surligné par les portraits de figures du XXème siècle, projetées sur les Tours Nobel, CB21 et CB31 (en 2022 : Nexity, Suez, First) : Marilyn Monroe, Salvador Dali, Pablo Picasso, Charles de Gaulle, Charlie Chaplin, Jacques-Yves Cousteau. La Longue Marche du tragique et grandiose XXème siècle – jusqu’à ce qu’on appelait en 1990 « La Fin de l’Histoire ». 14 juillet 1990.

Je ne sais pas si Jean-Michel Jarre a souvent joué « Calypso 3 ». Je sais qu’il l’a admirablement interprété le 1er juillet 2011, lors du concert à Monaco pour le mariage du Prince Albert et de la Princesse Charlène – là aussi, prière de ne pas ricaner, le blabla est kitchissime je n’ai aucune estime pour cette monarchie d’opérette doublée d’un paradis fiscal répugnant, mais le monde est ainsi fait, et ce concert était un moment d’un début de ce siècle. La version intégrale de ce concert, mise en ligne sur YouTube par le dénommé « Kraftwerkification », issue de la retransmission sur EuroNews, vaut ainsi aussi par les bandeaux d’actualité qui défilent périodiquement en bas de l’écran : « Poland takes over the EU Presidency », « Strauss-Kahn released from house arrest in court dram », ou encore « Gaddafi warns NATO of ‘catastrophe’ ». L’Histoire continue. 1er juillet 2011.

Je ne sais pas comment « Calypso 3 » est revenu petit-à-petit dans mes écoutes au fil de cet hiver 2022, comment il a pris mon esprit, jusqu’à arriver tout en haut de ma playlist Spotify « En Boucle » au mois de mars 2022, accompagnant la campagne électorale, accompagnant surtout l’extraordinaire élan de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, pour renverser l’Histoire.

Alors, le soir du dimanche 10 avril 2022, en écoutant le dernier discours de ce grand bonhomme, j’ai compris.

Sisyphe. Sisyphe, évidemment.

Tomber, se relever. Toujours.

C’est mon devoir de vous le dire, étant le plus ancien d’entre vous : la seule tâche qu’on a à se donner, c’est celle qui accomplit le Mythe de Sisyphe. La pierre retombe en bas du ravin, alors on la remonte. Vous n’êtes ni faibles ni sans moyens. Vous êtes en état de mener cette bataille, et la suivante, et la suivante ! Autant qu’il y en aura. Regardez-moi, je n’ai jamais lâché prise, je n’ai jamais cédé, je n’ai jamais baissé le regard, et c’est de cette façon-là que nous avons construit cette force. Alors maintenant, c’est à vous de faire.

Alors, je n’en finis pas de tomber et de retomber bien bas. Il n’y a guère eu jusqu’ici de journées de cette année 2022 où je n’ai eu envie de pleurer, à un moment ou à un autre, pour une raison précise ou sans raison consciente. Je n’ai pas le droit de craquer, alors je ne craquerai pas.

Up, down, turn around
Please don’t let me hit the ground

La pierre retombe en bas du ravin, alors on la remonte.

Bon printemps.

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2 commentaires pour Playlist – Hiver 2022

  1. Anonyme dit :

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