Faire face à la dépression saisonnière 

Quelques mots sur la dépression saisonnière.

C’est un sujet qui est mal vu, dans mon petit bout du petit monde contemporain. Le mot « dépression » est suspect. Le mot « saisonnière » l’est encore plus.

C’est un sujet qui sera, dans ce que je connais de ce petit monde, traité comme une chimère, un caprice, une lâcheté, ou une indignité.

Je ne suis pas d’accord.

Mes idées ne sont peut-être ni claires, ni cohérentes, mais allons-y quand même, ceci n’est qu’un blog.

 

1.

Oui, c’est une réalité.

Non, ce n’est pas une chimère

La phrase qui tue toute discussion sur les problèmes psychologiques est bien connue : « Tout ça c’est dans ta tête ! » Eh bien là, c’est physique. C’est complètement physique. C’est objectif, objectivable, factuel, mesurable, quantifiable, et tous les mots modernes qu’on voudra.

La dépression saisonnière, à l’arrivée de l’automne dans les pays tempérés de l’hémisphère Nord, c’est réel. C’est le froid. Les horizons qui se rétrécissent. Le manque de lumière. L’humidité qui s’accumule. L’air confiné. Le repli à l’intérieur des logements. Les maladies qui reviennent. Le ralentissement. La tristesse. Certaines peurs.

Est-ce que ça sera pire cette année, avec toutes les variantes de « reconfinements » et tous les carnages économiques, sociaux et environnementaux auxquels l’incurie des connards qui nous gouvernent nous condamne ? Probablement, mais ça dépend des situations. Je ne sais pas comment évaluer la mienne (télétravail à perpétuité jusqu’à la charrette, les dents mordent, la cage est dorée, etc). Je ne sais pas. Pour le moment ça tient. J’ai connu des automnes infiniment pires, ce blog peut en témoigner. Mais c’est pas le sujet, en fait.

La saison moche arrive, et la dépression saisonnière arrive. D’une manière ou d’une autre, on va les sentir passer. On les sent déjà. Il ne sera à rien de le nier.

Nous sommes pas des machines avec juste quelques interfaces en entrée, facilement contrôlables, réglables ou débrayables. Nous sommes pas des spectres dématérialisés. Nous sommes matériels et spirituels. Nous sommes immergés dans une atmosphère et une infosphère. Nous ne savons pas ignorer tout ce que nos sens ressentent. Nous ne savons conscientiser et conceptualiser qu’une fraction de ce que nous vivons. Nous sommes des êtres vivants fragiles et sensibles. Nous devons en tenir compte. Nous devons nous considérer comme tels.

 

2.

Oui, c’est une agression.

Non, ce n’est pas un caprice.

Je le dis d’autant plus aisément que je considère depuis toujours septembre et octobre comme les mois les plus beaux de l’année. Je peux être intarissable sur les couleurs de l’automne, sur les arbres, sur la lumière particulière de certains matins d’octobre, ou sur le délice des frissons d’octobre.

Mais une fois dissipés quelques rayons de grâce, l’arrivée de la saison moche, c’est une agression. Ça pique. Ça fait mal. C’est douloureux. Ça ronge. C’est cruel.

C’est une agression pour le physique et pour le moral. Pour le corps et pour la tête. Pour tout. Pour tous. Nous sommes des êtres vivants !

Ce n’est pas un caprice d’enfant que de dire que la dépression saisonnière fait mal.

C’est cruel, et c’est encore plus cruel pour les gens déjà affaiblis par ailleurs.

À vrai dire, chez les gens les plus affaiblis, l’effet de la saison moche se voit moins, parce c’est noyé dans la masse. La dépression boit la dépression saisonnière comme le buvard boit l’encre. Je n’arrive à le comprendre aujourd’hui que parce que j’ai la chance de n’être plus noyé, d’avoir les épaules hors de l’eau : quand j’avais la tête sous l’eau, je ne pouvais pas faire la part des choses. J’ai la chance d’aller mieux, alors je vois mieux certains contrastes.

C’est cruel, et comme la plupart des cruautés du monde contemporain, c’est terriblement inégalitaire selon des critères économiques et sociaux. C’est beaucoup plus cruel pour les gens mal logés, mal chauffés, mal éclairés, mal aérés. C’est beaucoup cruel pour les invisibles. C’est beaucoup plus cruel pour ce qui, justement, n’ont pas droit à la parole.

Tous les gens, jeunes et jolis et bien habillés, qui peuplent les écrans dominants, de TF1 à Instagram en passant par BFMTV, ne semblent pas connaître la dépression saisonnière. Ils n’en sont que plus faux et détestables.

En ce mois de septembre 2020, en quelques jours, dans mon coin, en Île-de-France, nous sommes passés d’août à novembre. C’est peut-être une chance, parce que, plus fort est le contraste, plus visible est l’agression. C’est peut-être ainsi plus facile de mettre les mots dessus. Mais elle reste une agression. Elle fait mal.

3.

Oui, c’est de la faiblesse.

Non, ce n’est pas de la lâcheté.

Nous aimons bien nous croire forts, mais ça ne sert à rien quand on tombe sur plus fort que soi. Ça ne sert à rien en général, en fait. Face à certaines choses, nous sommes tous faibles, même ceux qui font semblant, et même ceux qui sont sincèrement persuadés d’être forts.

On nous a appris à mépriser les faibles, à nier nos faiblesses, à avoir honte d’être faible, il faut désapprendre cela.

On nous a appris aussi à mépriser les vieux, justement parce qu’ils sont faibles, plus faibles que la moyenne, etc (et il y a, hélas, tellement dans ce « etc »). Ce mépris est juste méprisable. Notre époque est décidément détestable.

On nous a dit typiquement parfois que la météo, c’est un truc de vieux. C’est un truc de faibles. Non. C’est juste de la sagesse. C’est assumer ce que nous sommes. C’est préparer sa défense. C’est savoir ce contre quoi on va devoir se défendre.

Ce n’est pas une lâcheté de vieillard que de dire que la dépression saisonnière fait mal.

En nous faisant croire que les saisons ne doivent pas avoir d’effet sur nous, on nous a appris, une fois encore, à ne pas nous défendre.

Oui, nous sommes fragiles.

Oui, nous sommes faibles.

Oui, nous devons nous défendre.

La dépression saisonnière, comme toutes les formes de dépression, est, je crois, une forme de défense.

Se défendre, ce n’est pas de la lâcheté. Se mettre à l’abri, se préserver, se dérober à ce qui fait souffrir, le cas échéant fuir, ce n’est pas de la lâcheté.

Se préserver, ce n’est pas de la lâcheté.

 

4.

Oui, c’est une vulnérabilité

Non, ce n’est pas une indignité.

Nous n’aimons pas nous savoir vulnérables. Face à la dépression, comme face au Covid-19, comme face à tout, en fait. Nous nous rêvons invulnérables. Là aussi, c’est d’une grande stupidité, mais c’est l’esprit du temps. C’est ce qu’on nous a mis dans la tête, pour la plupart depuis l’enfance. On nous a appris à nous vouloir invulnérables, et à aduler ceux qui semblent invulnérables. Loués soient nos seigneurs.

Le dénommé Nicolas Bedos n’a rien trouvé de mieux pour faire parler de lui il y a quelques jours que d’écrire un bout de texte répugnant sur le Covid-19, mais terriblement représentatif de l’idéologie de l’époque :

Vivez à fond, tombez malades, allez aux restaurants, engueulez les flicaillons, contredisez vos patrons et les lâches directives gouvernementales. (…) Vivons à fond, embrassons-nous, crevons, ayons de la fièvre, toussons, récupérons, la vie est une parenthèse trop courte pour se goûter à reculons (…)

Et dieu reconnaîtra les siens…

Il parait qu’on appelle ça un discours de « mâle-alpha » (même si on peut trouver des « femelles-alpha » du même acabit). Il parait que c’est ça la « virilité » de nos jours. Il parait que c’est ça qu’il faut être, un « gagnant », un « winner », un fonceur. Décomplexé. Indestructible ? Il parait que c’est ça qui fait rêver.

Pourquoi tourner autour du pot ? C’est juste un discours de dominant, qui non content de simplement dominer, se permet aussi et surtout d’asséner son mépris des dominés, des faibles, des vulnérables.

Tout ce que je souhaite à ce pignouf, c’est que ni lui, ni aucun de ses proches, ne soient rattrapés par une forme grave du Covid-19. Et j’espère aussi qu’il ne sera pas vecteur de cette saloperie — mais j’imagine que ça, il s’en fiche, le « mâle-alpha ».

Tout ça c’est de l’histoire ancienne ! Ça n’intéresse plus les jeunes ! Les jeunes, il leur faut des héros virils et musclés, genre Rocky !

Il faudrait pouvoir liquider l’idéologie de notre époque, ou au moins l’oublier, au moins temporairement. Elle est insupportable. Elle ne sait que rajouter de la cruauté à la cruauté, du malheur au malheur. Elle ne sait qu’exploiter le malheur, quand elle ne le fabrique pas.

Face à une épreuve qui peut concerner tout le monde, que ce soit le Covid-19, la dépression saisonnière ou une récession économique, il devrait y avoir un sentiment d’unanimité, de solidarité, d’humilité et d’humanité. Mais pour certains, il y a juste le réflexe de prétendre être au-dessus, d’en profiter pour étaler ou aggraver leur domination. « A golden opportunity », comme ils disent. Triste époque.

 

5.

Je n’ai pas de conseils à donner face à la dépression saisonnière.

Je peux essayer, mais ça va tomber à plat :

L’autre soir, une douche brûlante a suffi. Peut-être qu’un autre soir, elle ne suffira pas. J’ai de la chance, j’ai de l’eau chaude.

Tous les matins, j’avale un comprimé de vitamines (magnésium B6 ou quelque chose comme ça). C’est probablement juste un placebo, mais ça fait un point de repère. J’ai de la chance, c’est dans mes moyens.

J’essaie de penser à mettre suffisamment de lumière là où je travaille. J’ai de la chance, j’ai des lampes puissantes.

Je m’accroche à un minimum d’activité physique. J’ai de la chance, j’ai l’équipement adéquat.

Je tente de préserver les liens avec ceux que j’aime. J’ai de la chance.

There is no silver bullet. Il n’y a pas de baguette magique.

Je vous souhaite de la chance. Oui, de la chance.

Je vous souhaite du courage.

Regardez autour de vous. Prenez des nouvelles. Utilisez vos engins du diable pour ce pourquoi ils ne sont pas conçus : échanger, tisser des liens, écouter, apaiser, rassurer. Ce n’est pas parce que certains semblent s’en sortir mieux que nous pouvons imaginer négliger les autres.

N’écoutez pas ceux qui vous diront « tout ça c’est dans ta tête », qui vous asséneront que c’est rien, c’est des chimères, c’est des caprices, c’est de la lâcheté, et qui in fine vous traiterons de riens. C’est faux.

N’oubliez pas cette formule de Johann Hari :

Si vous êtes dépressif et anxieux, vous n’êtes pas une machine avec des pièces défectueuses. Vous êtes un être humain avec des besoins insatisfaits.

Nous sommes des êtres humains, face à la saison moche et à un contexte encore plus moche.

Nous sommes la grande équipe de l’humanité.

We shall overcome.

Bonne nuit.

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4 commentaires pour Faire face à la dépression saisonnière 

  1. smolski dit :

    « C’est juste un discours de dominant, qui non content de simplement dominer, se permet aussi et surtout d’asséner son mépris des dominés, des faibles, des vulnérables. »

    C’est le ton d’un artiste iconoclaste du pouvoir en place, véhiculant son mépris des classes sociales dirigeantes, utilisant son talent pour exhiber une forme de révolte face à l’effondrement social des plus démunis et l’enrichissement éhonté que cet effondrement permet aux classes les plus riches.

    « Vivons heureux en attendant la mort. »
    Desproges

    • J’ai du mal à voir la tirade de Nicolas Bedos comme l’expression d’une rebellion, et Nicolas Bedos lui-même comme un « artiste iconoclaste ».
      Fils-de, né à Neuilly-sur-Seine, réalise des films financés par le très endogame système de financement du cinéma français, non, décidément, « artiste iconoclaste », je ne crois pas.
      Puisqu’on est dans les références, un jour il faudra que je reprenne la lecture du « Nouvel Esprit du Capitalisme » de Boltanski et Chiappello, il y a des pages très intéressantes sur comment la figure de l’artiste rebelle a été complètement intégrée, digérée, au service de l’accumulation du capital.
      C’est tellement facile, quand on est bien né, bien entouré et en bonne santé, d’afficher son dédain pour les malheurs du monde et pour les malheureux, de tout relativiser et tout tourner en dérision.
      Cette phrase me tourne dans la tête depuis des mois (et elle s’applique à moi en particulier) : « C’est très facile d’oublier qu’on est un privilégié ».

  2. smolski dit :

    Il ne faut pas oublier que nous vivons dans un système colonialiste à l’excès, où le mépris venu d’en haut est clairement affiché sous le principe de la méritocratie opprimante.

  3. Aude dit :

    Bonjour.
    Cet automne eau florale de millepertuis et vitamine D. J’ai pris les devants, je savais que ce serait rude mais quand le lendemain du grand saut dans l’hiver (j’aime bien avoir plus de jour à 8h mais ça se paye avec la nuit à 17h) j’ai entendu un mec de conseil scientifique nous parler du reconfinement, « ne vous inquiétez pas, la vie sociale est préservée vous continuerez à aller bosser », je me suis effondrée. Ces mecs ont le sens du timing. Pile sur le changement d’heure. Mépris total pour notre dimension intime, zéro aménagement de notre vie affective, elles payent plus dur que les autres dimensions de nos vies dont le sacro-saint travail. Mon psy est effaré qu’on fasse autant de mal à ses patientEs, lesquelLEs cette fois aménagent leur confinement en gardant quelques relations. Réduction des risques par en bas. D’autres ne comprennent pas la réduction des risques, seulement la peur de la contamination, et se coupent de leurs proches. D’autres encore sont tétaniséEs (à juste titre) par la peur du gendarme, à la campagne où les déplacements ne sont pas discrets. Ces ayatollahs du néolibéralisme n’arbitrent rien, avec personne, ils font comme ça leur chante avec leur vision étriquée de l’humanité. Merci pour vos textes.
    (J’écris sur des thèmes proches.)
    http://blog.ecologie-politique.eu/post/Vivre-avec-une-depression-par-temps-de-Covid

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