« Si vous êtes dépressif et anxieux, vous n’êtes pas une machine avec des pièces défectueuses. Vous êtes un être humain avec des besoins insatisfaits. »

Ceci est une traduction en français d’un article, publié dans « The Guardian » en date du 7 janvier 2018, composé d’extraits d’un nouveau livre du journaliste Johann Hari, sous le titre « Is everything you think you know about depression wrong? » — « Est-ce que tout ce que vous croyez savoir sur la dépression est faux ? ».

Le titre de cet article est un peu racoleur ; l’article lui-même est long, inégal et discutable, mais il est intéressant. Je ne sais pas ce qui à prendre ou à laisser dans tout cela. Je ne suis expert en rien, et certainement pas en cette matière.

Mais je sais que les derniers paragraphes en particulier m’ont beaucoup touché. Touché. Le titre de ce billet est issu du dernier paragraphe.

If you are depressed and anxious, you are not a machine with malfunctioning parts. You are a human being with unmet needs.

C’est peut-être ça. C’est peut-être autre chose. C’est peut-être les deux à la fois. « En même temps », façon Schrödinger ? Je ne sais pas. Mais ça fait réfléchir. Et cette formule — et ce texte — peut même remonter un peu le moral.

Dans les années 1970s, une vérité fut accidentellement découverte concernant la dépression – une vérité vite mise de côté, car ses implications étaient trop dérangeantes, et trop explosives. Des psychiatres américains avaient produit un livre qui devait définir, en détail, tous les symptômes des différentes maladies mentales, de telle sorte qu’elles puissent être identifiées et traitées de la même manière dans tous les Etats-Unis. Il s’appelait le « Manuel diagnostique et statistique » (DSM). Dans sa dernière édition, ils décrivaient neuf symptômes qu’un patient doit présenter pour que soit diagnostiquée une dépression – par exemple, un manque d’intérêt pour le plaisir, ou une baisse de moral persistante. Pour qu’un médecin vous déclare en dépression, vous devez présenter cinq de ces symptômes pendant plusieurs semaines.

Le manuel fut envoyé aux médecins dans tous les Etats-Unis et ils commencent à l’utiliser pour diagnostiquer leurs patients. Cependant, au bout d’un moment ils revinrent vers leurs auteurs et leur firent remarquer quelque chose qui les tracassaient. S’ils suivaient le guide, ils devaient déclarer en dépression toute personne en deuil, et commencer à leur prescrire un traitement médical. Si vous perdez quelqu’un, le fait est que ces symptômes vont apparaître automatiquement. Alors, demandèrent les médecins, sommes-nous supposés droguer tous les personnes endeuillées en Amérique ?

Les auteurs réfléchirent, et décidèrent qu’une clause particulière serait ajoutée à la liste des symptômes de la dépression. Rien de tout cela ne s’applique, dirent-ils, si vous avez perdu une personne que vous aimez lors de la dernière année. Dans cette situation, tous ces symptômes sont naturels, et ne sont pas une anomalie. Cela fut appelé « l’exception du deuil », et cela sembla résoudre le problème.

Ensuite, alors que les années passèrent, des médecins sur le terrain commencèrent à remonter une autre question. Partout dans le monde, ils étaient encouragés à dire aux patients que la dépression, en fait, n’est que le résultat d’un déséquilibre chimique spontané dans le cerveau – c’est le résultat d’une carence en sérotonine, ou d’un manque naturel d’une autre substance chimique. Ce n’est pas causé par votre vie – c’est causé par votre cerveau cassé. Certains des médecins commencèrent à demander comment cela s’accordait avec l’exception du deuil. Si vous acceptez que les symptômes de la dépression sont une réponse logique et compréhensible à un ensemble de circonstances de la vie – perdre un être cher –, ne pourraient-ils pas être aussi une réponse compréhensible à d’autres situations ? Que dire si vous perdez votre emploi ? Que dire si vous êtes bloqué dans un emploi que vous haïssez pour les 40 prochaines années ? Que dire si vous êtes seul et sans amis ?

L’exception du deuil semblait avoir ouvert une brèche dans l’affirmation que les causes de la dépression sont enfermées loin à l’intérieur de votre crâne. Elle suggérait qu’il y a des causes en dehors, dans le monde, et que celles-ci devaient être étudiées et résolues là, à l’extérieur du crâne. Ce fut un débat que la plupart des psychiatres (à quelques exceptions près) ne voulaient pas avoir. Alors, ils répondirent d’une manière simple, en mettant en pièces l’exception du deuil. À chaque nouvelle édition du manuel ils réduisirent la période de deuil qui vous serait accordée avant d’être étiqueté malade mental – jusqu’à quelques mois, puis, finalement, à rien du tout. Désormais, si votre bébé meurt à 10 heures du matin, votre médecin peut vous diagnostiquer une maladie mentale à 10h01, et commencer à vous droguer immédiatement.

Le Dr Joanne Cacciatore, de la Arizona State University, est devenue un expert de premier plan sur le sujet de l’exception du deuil après que son propre bébé, Cheyenne, décède pendant son enfance. Elle avait vu tellement de gens en deuil s’entendre dire qu’ils étaient malades mentalement pour avoir montré leur détresse. Elle m’a expliqué que ce débat avait révélé un problème essentiel dans la manière dont nous parlons de la dépression, de l’anxiété et d’autres formes de souffrance : nous ne considérons pas le contexte. Nous agissons comme si la détresse humaine pouvait être évaluée uniquement selon une checklist détachée de nos vies, et étiquetée comme maladie du cerveau. Si nous commençons à prendre en compte les vies réelles des gens quand nous traitons la dépression et l’anxiété, m’a expliqué Joanne, cela nécessitera « une révision complète du système ». Elle m’a dit que « lorsque vous avez une personne dans un état d’extrême détresse humaine, nous devons arrêter de traiter les symptômes. Les symptômes sont un messager d’un problème plus profond. Occupons-nous du problème plus profond. »

* * *

J’étais un adolescent lorsque j’ai avalé mon premier antidépresseur. J’étais debout sous la faible lumière du soleil anglais, à l’extérieur d’une pharmacie dans un centre commercial à Londres. Le comprimé était blanc et petit, et lorsque je l’ai avalé, j’ai ressenti comme un baiser chimique. Ce matin-là, j’étais allé voir mon médecin et je lui avais expliqué, voûté, embarrassé, que la douleur débordait de moi de manière incontrôlable, comme une mauvaise odeur, et que je me sentais ainsi depuis plusieurs années. En réponse, il m’avait raconté une histoire. Il y a une substance chimique appelée la sérotonine qui fait que les gens se sentent bien, disait-il, et certaines personnes en manquent naturellement dans leurs cerveaux. Vous êtes clairement une de ces personnes. Il existe aujourd’hui, heureusement, de nouveaux médicaments qui vont rétablir votre niveau de sérotonine à au niveau d’une personne normale. Prenez-les, et vous serez bien. Enfin, je comprenais ce qui m’était arrivé, et pourquoi.

Cependant, après quelques mois de traitement, quelque chose de bizarre arriva. La douleur commença à suinter à nouveau. Très vite, je me sentis aussi mal que je me sentais au début. Je retournai voir le médecin, et il me dit que la dose était clairement trop faible. Je me sentis mieux quelques mois. Ainsi, 20 milligrammes devinrent 30 milligrammes ; la pilule blanche devint bleue. Je me sentis mieux pendant quelques mois. Et puis la douleur revint une fois encore. La dose continua à être augmentée, jusqu’à atteindre 80 mg, et y resta quelques années, avec juste quelques brèves interruptions. Et toujours la douleur finissait par revenir.

J’ai commencé les recherches qui ont mené à mon livre « Liens perdus : Découvrir les vraies causes de la dépression – et les solutions inattendues » parce que j’étais tracassé par deux mystères. Pourquoi étais-je resté dépressif alors que je faisais exactement ce qu’on m’avait dit de faire ? J’avais identifié une carence en sérotonine dans mon cerveau, et j’augmentais mes niveaux de sérotonine – et pourtant je me sentais toujours mal. Mais il y avait un mystère plus profond encore. Pourquoi tant d’autres personnes à travers le monde occidental ressentaient les mêmes choses que moi ? Environ un adulte sur cinq aux Etats-Unis prennent au moins un médicament pour des problèmes psychiatriques. Au Royaume-Uni, les prescriptions d’antidépresseurs ont doublé en une décennie, jusqu’au point où une personne sur onze prend des médicaments pour faire face à ces sensations. Qu’est-ce qui a amené la dépression et son jumeau, l’anxiété, à monter en flèche ainsi ? Je commençais à me demander : est-ce que c’est vraiment que dans toutes nos têtes, nous avions des mécanismes chimiques du cerveau qui se sont spontanément mis à dysfonctionner en même temps ?

Pour trouver les réponses, j’ai parcouru plus de 60.000 kilomètres à travers le monde. J’ai parlé aux spécialistes en sciences sociales les plus en pointe sur ces questions, et à des gens qui ont surmonté la dépression par des moyens inattendus – d’un village amish dans l’Indiana, à une ville brésilienne qui a interdit la publicité et à un laboratoire à Baltimore conduisant une série d’expériences étonnantes. De ces gens, j’ai appris les meilleures preuves scientifiques sur ce qui cause vraiment la dépression et l’anxiété. Ils m’ont expliqué que ce n’était pas ce qu’on nous avait raconté jusqu’à maintenant. J’ai découvert qu’il est prouvé que sept facteurs spécifiques dans la manière dont nous vivons aujourd’hui causent l’accroissement de la dépression et de l’anxiété – en plus de deux facteurs biologiques réels (tels que nos gênes) qui peuvent se combiner avec ces forces pour la rendre pire.

Une fois que j’ai appris cela, j’ai été capable de voir qu’il existe un ensemble de solution très différents pour ma dépression – et pour notre dépression –, qui m’attendaient depuis longtemps.

Pour comprendre cette différente manière de voir, j’ai d’abord dû enquêter sur la vieille histoire, celle qui m’avait tellement soulagé au début. Le professeur Irving Kirsch de Harvard University est le Sherlock Holmes des antidépresseurs chimiques – l’homme sur terre qui a le plus finement décortiqué les données concernant les médicaments donnés aux dépressifs et aux anxieux. Dans les années 1990s, il prescrivait des antidépresseurs à ses patients avec confiance. Il connaissait les preuves scientifiques qui avaient été publiées, et elles étaient claires : elles montraient que 70% des gens qui prenaient ces médicaments allaient significativement mieux. Il commença à enquêter au-delà, et demanda à examiner les données que les fabricants de médicaments avaient amassées sur ces médicaments mais pas publiées. Il était confiant qu’il allait découvrir toutes sortes d’autres effets positifs – mais c’est alors qu’il est tombé sur quelque chose d’étrange.

Nous savons tous que, quand on prend des selfies, on prend 30 photos, on jette les 29 où on voit nos yeux bouffis ou notre double-menton, et on garde la meilleure pour la mettre sur notre profil Tinder. Il est apparu que les fabricants de médicaments – qui financent toutes les recherches sur ces médicaments – ont appliqué la même approche à l’étude des antidépresseurs chimiques. Ils ont financé des études en grand nombre, rejeté toutes celles qui suggéraient que les médicaments ont des effets très limités, et puis n’ont publié que celles qui démontraient un succès. Pour donner un exemple : lors d’une campagne de test, le médicament avait été donné à 245 patients, mais le fabricant n’a publié que les résultats de 27 d’entre eux. Ces 27 patients se trouvaient être ceux pour qui le médicament semblait marcher. Soudainement, le professeur Kirsch réalisa que le chiffre de 70% ne pouvait être correct.

Il apparaît qu’entre 65 et 80% des personnes sous antidépresseurs retombent en dépression dans l’année suivante. J’avais pensé que j’étais bizarre parce que j’étais resté en dépression bien que prenant l’un de ces médicaments. En fait, comme me l’expliqua Kirsch au Massachussetts, j’étais totalement typique. Ces médicaments ont un effet positif pour certaines personnes – mais ils ne peuvent clairement pas être la principale solution pour la majorité d’entre nous, parce que nous sommes toujours en dépression même lorsque nous les prenons. Pour le moment, nous offrons aux personnes en dépression un menu avec une seule option – mais je réalisais, tandis que je passais du temps avec lui, que nous devons agrandir le menu.

Ceci conduisit le professeur Kirsch à poser une question encore plus basique, une question qu’il fut surpris de poser. Comment savons-nous au juste que la dépression est juste provoquée par une carence en sérotonine ? Lorsqu’il se mit à creuser ce point, il apparut que les preuves étaient étonnamment fragiles. Le professeur Andrew Scull de Princeton, écrivant dans le Lancet, expliquait qu’attribuer la dépression à une carence spontanée en sérotonine est « profondément trompeur et non-scientifique ». Le Dr David Haley m’a dit : « Il n’y a jamais eu de fondement à cela, jamais. C’était juste un discours marketing. »

Je ne voulais pas entendre ça. Une fois que vous avez adopté une histoire qui explique votre douleur, vous êtes extrêmement réticent pour la remettre en cause. C’était comme une laisse avec laquelle j’avais attaché ma détresse pour la contrôler un tant soit peu. J’avais peur que si j’embrouillais l’histoire avec laquelle j’avais vécu depuis si longtemps, la douleur deviendrait sauvage, comme un animal déchaîné. Et pourtant les preuves scientifiques me montraient quelque chose de clair, et je ne pouvais les ignorer.

* * *

Alors qu’est-ce qui se passe vraiment ? J’ai rencontré des spécialistes en sciences sociales partout dans le monde – de São Paolo à Sydney, de Los Angeles à Londres – et j’ai commencé à voir une image inattendue émerger. Nous savons tous que tout être humain a des besoins physiques élémentaires : nourriture, eau, hébergement, air propre. Il apparaît que, de la même manière, tous les êtres humains ont certains besoins psychologiques élémentaires. Nous avons besoin de sentir que nous avons notre place. (« We need to feel we belong. ») Nous avons besoin de sentir que notre valeur est reconnue. (« We need to feel valued ») Nous avons besoin de sentir que nous sommes bons à quelque chose. Nous avons besoin de sentir que nous avons un futur sûr. Et il y a des indices croissants que notre culture ne répond pas à ces besoins psychologiques pour beaucoup de gens – peut-être pour la majorité des gens. Je continue à découvrir que, de toutes sortes de manières différentes, nous sommes devenus déconnectés de choses dont nous avons vraiment besoin, et que cette profonde déconnexion est le moteur de l’épidémie de dépression et d’anxiété tout autour de nous.

Regardons l’une de ces causes, et une des solutions que nous pouvons commencer à voir si nous la comprenons différemment. Il est prouvé que les êtres humains ont besoin de sentir que leurs vies ont un sens – qu’ils font quelque chose pour une raison qui fait une différence. C’est un besoin psychologique naturelle. Mais entre 2011 et 2012, l’institut de sondage Gallup a réalisé l’étude la plus détaillée jamais entreprise de comment les gens ressentent ce à quoi nous passons la majeure partie de notre temps éveillé – notre travail payé. Ils ont découvert que 13% des gens disent qu’ils sont « impliqués » (« engaged ») dans leur travail – qu’ils lui trouvent un sens, et qu’ils ont envie d’y aller. Environ 63% disent qu’ils sont « non-impliqués », ce qui est défini comme « traverser leurs journées de travail en somnambules ». Et 24% sont « activement désimpliqués » : ils haïssent leur travail.

La plupart des personnes dépressives et anxieuses que je connais sont dans les 87% qui n’aiment pas leur travail. J’ai commencé à creuser autour de ce point, pour voir s’il existait des preuves que cela puisse être lié à la dépression. Il est apparu qu’une percée avait été faite sur cette question dans les années 1970s, par un scientifique australien nommé Michael Marmot. Il voulait enquêter sur les causes du stress au travail, et il pensait avoir trouver le laboratoire idéal pour trouver la réponse : la haute fonction publique britannique, basée à Whitehall. Une petite armée de bureaucrates était divisées en 19 différentes strates, depuis les directeurs généraux d’administration au sommet, jusqu’aux dactylos. Ce qu’il voulait savoir, au début, c’était : qui a la plus grande probabilité d’avoir une attaque cardiaque liée au stress – le grand chef au sommet, ou quelqu’un en-dessous de lui ?

Tout le monde lui disait : tu perds ton temps. Evidemment, c’est le chef qui va être le plus stressé parce qu’il a le plus de responsabilités. Mais quand Marmot a publié ses résultats, il a montré que la vérité est exactement à l’opposé. Plus un employé est bas dans la hiérarchie, plus hauts sont ses niveaux de stress et la probabilité qu’il fasse une attaque cardiaque. Alors il voulut savoir : pourquoi ?

Et après deux années supplémentaires passées à étudier les fonctionnaires, il finit par découvrir le facteur le plus important. Il apparait que si vous n’avez pas de contrôle sur votre travail, vous avez une plus grande probabilité de devenir stressé – et, c’est crucial, dépressif. Les êtres humains ont un besoin inné de sentir que ce qu’ils font, jour après jour, a un sens. Quand vous êtes contrôlé, vous ne pouvez donner une signification à votre travail.

Alors la dépression de beaucoup de mes amis, même ceux ayant une belle situation – mais qui passent la plupart de leurs heures éveillées à se sentir contrôlés et pas appréciés – commençait à ne plus ressembler à un problème avec leurs cerveaux, mais un problème avec leurs environnements. Il y a, comme je l’ai découvert, beaucoup de causes de dépression comme celle-ci. Cependant, mon enquête ne visait pas juste à trouver les raisons pour lesquelles nous nous sentons si mal. Le cœur de ma démarche était de trouver comment nous pourrions nous sentir mieux – comment nous pourrions trouver des antidépresseurs réels et durables qui fonctionnent pour la plupart d’entre nous, au-delà des boîtes de comprimés qu’on nous a offerts comme le seul item sur le menu pour les dépressifs et les anxieux. Je continuais à penser à ce que le Dr Cacciatore m’avait appris – nous devons traiter les problèmes profonds qui causent toute cette détresse.

J’ai trouvé les débuts d’une réponse à cette épidémie de travail dépourvu de sens – à Baltimore. Meredith Mitchell avait l’habitude de se lever chaque matin avec son cœur dévoré par l’anxiété. Elle redoutait son emploi dans un bureau. Alors elle a pris une décision audacieuse – une décision que beaucoup de gens considérèrent comme folle. Son mari, Josh, et des amis travaillaient depuis des années dans un magasin de vélos, où ils étaient malmenés et se sentaient constamment en danger. La plupart d’entre eux étaient dépressifs. Un jour, ils ont décidé de monter leur propre magasin de vélos, mais ils voulaient le gérer différemment. Au lieu d’avoir une personne au sommet donnant des ordres, ils l’ont organisé comme une coopérative démocratique. Ça voulait dire qu’ils prendraient les décisions collectivement, qu’ils partageraient les bons et les mauvais boulots, et qu’ils seraient tous, ensemble, le chef. Ça ressemblerait à une tribu démocratique active. Quand je suis allé voir leur magasin – Baltimore Bicycle Works – l’équipe m’a expliqué comment, dans cet environnement différent, leurs dépressions et leur anxiété avait largement disparu.

Ce n’est pas que leurs tâches individuelles avaient beaucoup changé. Ils réparaient des vélos avant ; ils réparent des vélos maintenant. Mais ils avaient pris en compte les besoins psychologiques insatisfaits qui les faisaient se sentir si mal – en se donnant à eux-mêmes de l’autonomie et du contrôle sur leur travail. Josh avait observé par lui-même que les dépressions sont très souvent, comme il disait, « des réactions rationnelles à une situation, pas une sorte de cassure biologique ». Il m’a raconté qu’il n’y a aucun besoin de mener aucune entreprise à la manière ancienne, humiliante, déprimante – nous pouvons passer, en tant que culture, à des travailleurs contrôlant leurs propres environnements de travail.

* * *

Avec chacune des neuf causes de la dépression et de l’anxiété sur lesquelles j’ai enquêté, j’ai continuellement appris des faits étonnants et des démonstrations qui m’ont forcé à penser différemment. Le professeur John Cacioppo de Chicago University m’a appris qu’être extrêmement isolé est aussi stressant qu’être frappé à la tête par un étranger – et augmente considérablement la probabilité d’une dépression.  Le Dr Vincent Felitti à San Diego m’a montré que survivre à des traumatismes infantiles graves augmente de 3100% les changes d’une tentative de suicide à l’âge adulte. Le professeur Michael Chandler à Vancouver m’a expliqué que si une communauté ressent qu’elle n’a aucun contrôle sur les grandes décisions qui la concernent, le taux de suicide va décupler.

Ces nouvelles preuves nous forcent à rechercher des types de solution très différents à notre crise de désespoir. Une personne en particulier m’a aidé à déverrouiller comment penser cela. Au début du XXIème siècle, un psychiatre sud-africain nommé Derek Summerfeld se rendit au Cambodge, alors que les antidépresseurs commençaient à y être introduits. Il entreprit d’expliquer le concept aux médecins qu’il rencontra. Ils écoutèrent patiemment, puis lui dirent qu’ils n’avaient pas besoin de ces nouveaux antidépresseurs, parce qu’ils avaient déjà des antidépresseurs qui marchaient. Il supposa qu’ils parlaient de quelque remède à base d’herbes.

Il leur demanda d’expliquer, et ils lui parlèrent d’un paysan rizicole qu’ils connaissaient, dont la jambe gauche avait été arraché par l’explosion d’une mine. On lui avait mis une prothèse, mais il se sentait constamment anxieux quant à l’avenir, et rempli de désespoir. Les médecins passèrent du temps avec lui, et le firent parler de ses problèmes. Ils réalisèrent que même avec sa nouvelle jambe artificielle, son ancien emploi – travailler dans les rizières – le rendait constamment stressé et physiquement souffrant, et que cela lui faisait vouloir juste mettre fin à ses jours. Alors ils eurent une idée. Ils pensèrent que s’il devenait un éleveur bovin, il pourrait vivre différemment. Alors ils lui achetèrent une vache. Dans les mois et années qui suivirent, sa vie changea. Sa dépression – qui avait été sévère – disparut. « Vous voyez, docteur », dirent-ils, la vache était un « antidépresseur ».

Pour eux, trouver un antidépresseur ne signifiait pas trouver un moyen de modifier la chimie du cerveau. Cela signifiait trouver un moyen de résoudre le problème qui causait la dépression avant tout. Nous pouvons faire la même chose. Certaines de ces solutions sont des choses que nous pouvons faire en tant qu’individus, dans nos vies personnelles. Certaines nécessitent de plus grands changements sociaux, que nous pouvons réaliser ensemble, en tant que citoyens. Mais tous nécessitent que nous changions notre compréhension de ce que la dépression et l’anxiété sont vraiment.

C’est radical, mais ce n’est pas, comme je l’ai découvert, une position marginale. Dans son rapport officiel pour la Journée Mondiale de la Santé en 2017, l’Organisation des Nations Unies a examiné les meilleures données disponibles et conclut que « le récit biomédical dominant concernant la dépression » est basé sur « un usage biaisé et sélectif de résultats de recherches » qui « doit être abandonné ». Nous devons renoncer à « nous concentrer sur des déséquilibres chimiques », disent-ils, pour plus nous concentrer sur « des déséquilibres de pouvoir ».

Après avoir appris cela, et ce que cela signifiait pour nous tous, j’ai commencé à rêver de pouvoir remonter le temps et parler à mon moi adolescent le jour où on lui a raconté l’histoire sur sa dépression qui allait l’emmener pendant tant d’années dans la mauvaise direction. Je voulais lui dire : « Cette douleur que tu ressens n’est pas une pathologie. Ce n’est pas de la folie. C’est un signal indiquant des tes besoins psychologiques naturels ne sont pas satisfaits. C’est une forme de deuil – de toi-même, et d’à quel point la culture où tu vis a si mal tourné. Je sais combien ça fait mal. Je sais combien profondément cela te déchire. Mais tu dois entendre ce signal. Nous devons tous entendre les gens autour de nous qui envoient ce signal. Il te dit ce qui ne va pas. Il te dit que tu as besoin d’être lié de diverses manières profondes et vibrantes que tu n’es pas encore – mais tu peux l’être, un jour. »

Si vous êtes dépressif et anxieux, vous n’êtes pas une machine avec des pièces défectueuses. Vous êtes un être humain avec des besoins insatisfaits. La seule vraie manière de sortir de notre épidémie de désespoir consiste à ce que tous, ensemble, nous commencions à satisfaire ces besoins humains – de liens profonds, aux choses qui comptent vraiment dans la vie.

Bonne nuit.

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3 commentaires pour « Si vous êtes dépressif et anxieux, vous n’êtes pas une machine avec des pièces défectueuses. Vous êtes un être humain avec des besoins insatisfaits. »

  1. Anonyme dit :

    Oui, je crois que c’est ça. C’est le corps humain qui décide qu’il y a besoin d’envoyer ce signal à l’« extérieur ». C’est parce qu’il n’y a pas/plus ce qu’il faut dans son environnement/entourage. Pas de « pièces défectueuses »… au contraire, ça fonctionne très bien, c’est le corps qui « parle » pour dire que ça ne va pas, « autour ».

    Et ce qui est dommage, c’est que (dans les cas où il y en a besoin) la réponse à ce signal n’est pas appropriée/satisfaisante. J’ai l’impression qu’on se retrouve souvent soi-même à expérimenter, à apprendre sur le tas… Avec tout ce que ça implique (ça va être plus ou moins facile/long pour certains que pour d’autres par exemple, etc.).

    C’est curieux cette méconnaissance générale. Ça me fait penser à ce qu’on dit qu’on connaît bien plus de choses sur les étoiles, l’univers… que la Terre passé quelques centaines de mètres sous la surface. On aurait pu croire que, au contraire, ça n’a plus de secret !

  2. Alex dit :

    Finalement, on sait tout cela au moins depuis Durkheim (et plus récemment les travaux de Wilkinson), j’ai comme l’impression que la psychiatrie (et/ou la psychologie) a fait reculer, au moins en partie, la connaissance de notre propre mode de fonctionnement humain.

  3. Ping : Mardi 6 Février 2018 — Journal – Jules Walser

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