Pistes de lecture – Dump Trump!

Il ne devrait y avoir aucun doute.

En 2016, il y avait des doutes, beaucoup de doutes, et certains billets qui trainent sur ce blog en témoignent : « Ce que Donald Trump révèle du jeu de l’argent » (22 janvier), « Il faut prendre Donald Trump au sérieux » (24 février), « Donald Trump, notre contemporain » (2 mars), « Donald Trump, poupée russe » (23 septembre), ou encore « Le mépris des gagnants » (18 octobre), et finalement « La surprise de la surprise » (13 novembre). Je comprends que beaucoup de braves gens se soient faits avoir. Je comprends que beaucoup de braves gens aient placé des espoirs en Donald Trump. Moi aussi, j’ai par moments espéré qu’il pourrait apporter quelques bienfaits à son pays et à ce monde.

En 2020, il n’y a plus aucun doute. Les faits sont têtus. Donald Trump est un homme dangereux, un président incompétent, un apprenti dictateur, un milliardaire ruiné au service de son clan et des autres milliardaires, un hypocrite qui manipule sa « base », et un gros porc.

Pour faire court, Donald Trump est le pire président de l’histoire des États-Unis d’Amérique.

Il n’y a qu’une seule chose à faire concernant Trump, pour ceux qui peuvent y prendre part : le virer.

Il n’y a qu’une seule chose à espérer, pour tout le monde : qu’il dégage, avec le moins de dégâts collatéraux possibles.

En bon américain, il ne devrait y avoir qu’un seul slogan : Dump Trump! Jetez Trump ! Trump à la déchèterie !

Et pourtant il y a des doutes.

Des gros doutes. Certains ont encore des doutes. Certains sont encore en marche derrière ce sinistre individu. Certains sont complètement aveuglés par le personnage, et par le reste. Ça en dit long sur l’état de notre monde, sur sa « disruption ».

Et l’histoire de Trump peut très mal finir – ou, pire, ne pas finir du tout.

Quelques pistes de lecture sur l’élection présidentielle américaine de 2020. Avec une insistance tout particulière sur les propos de Timothy Snyder. J’ai achevé il y a quelques semaines la lecture de « Black Earth ». J’admire beaucoup cet historien du XXème siècle et du temps présent.

* * *

Noam Chomsky, cité dans NewStatesman en date du 17 septembre 2020, et traduit en français sur le site les-crises.fr en date du 12 octobre 2020, sous le titre « Le monde se trouve à l’instant le plus dangereux de l’histoire de l’humanité » :

Chomsky a exhorté les électeurs américains de gauche à voter pour Biden lors de l’élection présidentielle de novembre prochain et à le pousser à poursuivre un programme progressiste.

« Ce que la gauche devrait faire, c’est ce qu’elle devrait toujours faire : elle devrait reconnaître que la vraie politique est un activisme constant, sous une forme ou une autre. Tous les deux ans, il y a une élection. Vous devriez prendre quelques minutes pour décider si cela vaut la peine de voter contre quelqu’un, rarement pour quelqu’un. Dans le cas de Corbyn en Angleterre, par exemple, j’aurais voté pour lui mais la plupart du temps, la question est « Contre qui votez-vous ? »

« Cette fois-ci, la réponse à cette question est tout simplement évidente : les Républicains de Trump sont tellement scandaleux, à l’écart du spectre, que la nécessité de voter contre eux devient évidente. Alors vous prenez quelques minutes, vous vous rendez à l’isoloir, vous poussez un levier, vous votez contre Trump, ce qui dans un système bipartite signifie que vous devez pousser le vote pour l’autre candidat. Mais ensuite, la prochaine chose que vous faites est de les défier, de maintenir la pression pour les faire avancer vers des programmes progressistes ».

Nouriel Roubini, dans Project Syndicate, en date du 29 septembre 2020, traduit en français sous le titre « Pourquoi Biden est un meilleur choix que Trump pour l’économie » :

À l’approche de l’élection du mois de novembre, Joe Biden maintient régulièrement une large avance dans les sondages par rapport au président américain Donald Trump. En revanche, malgré l’inefficacité de Trump dans sa réponse à la pandémie de COVID-19 – un échec qui conduit à une fragilité considérable de l’économie par rapport à ce qu’aurait pu être la situation – Biden ne conserve qu’une faible avance sur la question de savoir quel candidat incarnerait le meilleur choix pour l’économie des États-Unis. Par la faute de Trump, ce pays qui représente seulement 4 % de la population mondiale déplore aujourd’hui plus de 20 % des décès liés au COVID-19 à travers le monde – une véritable honte si l’on considère le niveau d’avancée du système de santé (certes coûteux) des États-Unis.

L’idée reçue selon laquelle les Républicains seraient meilleurs que les Démocrates dans la gestion de l’économie est un mythe de longue date, qu’il est grand temps de briser. Dans notre ouvrage de 1997 intitulé Political Cycles and the Macroeconomy, le très regretté Alberto Alesina et moi-même démontrons que les périodes d’administration démocrate sont souvent marquées par une croissance plus rapide, un taux de chômage plus faible, et une plus grande solidité des marchés boursiers que sous les présidences républicaines. (…)

Présenté comme un populiste, Trump est davantage un aspirant ploutocrate – une sorte de plouto-populiste – et c’est de cette manière qu’il gouverne. Ses politiques économiques se révèlent désastreuses pour les travailleurs américains et la compétitivité économique à long terme du pays. Ses mesures en matière de commerce et d’immigration, censées restaurer les emplois américains, ont eu précisément l’effet inverse. Toutes ces « morts de désespoir » qui frappent dans une mesure disproportionnée les travailleurs du précariat et ouvriers blancs n’ont pas diminué en nombre sous la présidence Trump ; avec plus de 70 000 overdoses médicamenteuses mortelles en 2019, ce carnage américain continue. Si les États-Unis entendent à l’avenir pourvoir des emplois à haute valeur, il va leur falloir former la main-d’œuvre, plutôt que sombrer dans une xénophobie et un protectionnisme destructeurs.

Le choix que devront faire les électeurs américains préoccupés par les perspectives économiques de l’Amérique ne pourrait être plus évident. Depuis longtemps conscient des problématiques ouvrières, Biden est le seul candidat présidentiel dans l’histoire récente à ne pas avoir étudié dans l’une des universités de l’Ivy League. Il est plus à même que n’importe qui d’autre de rebâtir la coalition démocrate, et de regagner le soutien des électeurs révoltés de la classe ouvrière. Pour tous les Américains soucieux de leur avenir et de celui de leurs enfants, le bon choix à faire en novembre ne pourrait être plus clair.

Frank Rich, discutant dans « New York Magazine » le 16 octobre 2020 les prestations télévisées (format « Town Hall », l’un sur ABC, l’autre sur NBC) qui ont remplacé le deuxième débat, sous le titre « America is tired of the Trump show » (« L’Amérique est fatiguée du Trump Show ») :

I don’t think we learned anything new about either candidate last night, and I doubt we will in next week’s final debate either, when they are scheduled to square off in the same hall. But the split-screen town halls did illustrate an observation made by Rupert Murdoch, of all people. According to a Daily Beast report this week, the owner of Fox News believes Trump will lose by a landslide. “After all that has gone on,” he is quoted as telling an associate, “people are ready for Sleepy Joe.” Though Murdoch’s remark is a slap at Biden, it is also an accurate read of the cultural weather. Most Americans are worn out by their president’s nonstop histrionics and governmental chaos. They wouldn’t mind a bit of a nap. Anyone who surfed between the two town halls would see that choice writ large: an incessantly ranting and untethered reality-show television “personality” versus a calm, plain-spoken legislator who promises not to frighten the children. (…)

Then again, Trump is not really running against Biden. His opponent is the coronavirus. He is flailing against a pandemic that is now surging as it hasn’t since late July, and especially so in regions (the South, the upper Midwest) considered his electoral strongholds. The Biden campaign has wisely never lost its focus on Trump’s cataclysmic failure to address the crisis. But even if it had, the morbid facts speak for themselves. The ever-replayed video of the White House gleefully playing host to a super-spreader event is our era’s Zapruder film.

Je ne pense pas que nous avons rien appris de nouveau sur les candidats hier soir, et je pense que ce sera pareil dans le débat final la semaine prochaine. Mais les « town halls » sur des écrans séparés ont illustré une observation faite par Rupert Murdoch en personne. D’après un reportage du Daily Beast publié la semaine dernière, le propriétaire de Fox News est persuadé que Trump va être balayé. Selon un de ses proches, il a dit : « Après tout ce qui s’est passé, les gens sont prêts pour Joe l’endormi. » Même si la remarque de Murdoch est une gifle pour Biden, c’est aussi une lecture correcte de l’humeur générale. La plupart des Américains en ont assez de la personnalité histrionique permanente de leur président, et du chaos gouvernemental. Ils n’auraient rien contre une petite sieste. N’importe qui ayant zappé entre les deux « town halls » a pu voir ce choix clairement : une « personnalité » de la télé-réalité n’arrêtant pas de gueuler ses délires, contre un législateur calme, clair, qui promet de ne pas faire peur aux enfants.

Encore une fois, le principal adversaire de Trump n’est pas Biden, c’est le coronavirus. Il s’agit contre une pandémie qui est en train de rebondir comme elle ne l’avait plus fait depuis fin juillet, et notamment dans des régions (le Sud, l’Upper Midwest) considérés comme ses fiefs électoraux. L’équipe de Biden n’a très intelligemment jamais cessé de mettre le projecteur sur l’échec catastrophique de Trump à gérer cette crise. Mais même s’ils l’avaient fait, les faits sinistres sont là. La vidéo, qui n’en finit pas de tourner, montrant la Maison-Blanche servant joyeusement de décor à un cluster, est l’équivalent pour notre époque du film de Zapruder.

Robert Littell, dans Le Monde en date du 10 octobre 2020, sous le titre « En presque quatre ans, Trump a réussi à saboter les services de renseignement américains » :

Qu’il ait suivi son instinct primitif ou quelque diabolique plan stratégique, Donald Trump n’a cessé, depuis qu’il a déboulé sur la scène politique, de saper — dénigrer, décrier, humilier, rabaisser, maltraiter, insulter et prendre en traître — les institutions américaines. (…)

En presque quatre ans à la Maison Blanche, le président Trump a réussi à saboter le département de la justice, le département d’Etat, le FBI, le département de la défense et le président du comité des chefs d’état-major des armées, le Conseil national de sécurité, le service postal et même l’OTAN, sans parler des différentes agences de santé qui ont dû réfuter ses déclarations à l’emporte-pièce sur les remèdes contre le coronavirus (comme quand il a publiquement envisagé la possibilité d’injecter de l’eau de Javel dans le corps humain pour lutter contre l’infection au coronavirus). Le fait d’avoir complètement tort ne l’a jamais inhibé : « Bah », s’est-il exclamé.

Au regard de la sécurité nationale à long terme, cependant, ce sont les dix-sept organes de la communauté du renseignement des Etats-Unis que Trump a le plus affaiblis. Dès le début, il s’est méfié des maîtres espions et il a manifesté une constante hostilité à leur égard ; dans son esprit tordu, ils représentaient le « deep state », cette conspiration qu’il imagine exister au sein même de l’appareil d’Etat et qui serait déterminée à contrecarrer sa politique (notamment sa volonté de remettre en cause l’accord de Paris sur le climat et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou l’accord avec l’Iran sur le nucléaire signé par Obama). (…)

Le coup de grâce a été porté durant le sommet Trump-Poutine à Helsinki, en 2018. A la conférence de presse conjointe clôturant le sommet, au palais présidentiel finlandais, un journaliste a posé la question qui était sur toutes les lèvres : « Toutes les agences de renseignement américaines ont conclu que la Russie était intervenue [dans les élections de 2016]. Qui croyez-vous ? » Jetant un coup d’œil à Vladimir Poutine, Donald Trump a répondu sans un instant d’hésitation : « Le président Poutine vient de me dire que ce n’était pas la Russie. Je ne vois pas pourquoi ça le serait. ».

On a presque entendu la stupéfaction émanant des dix-sept agences de renseignement de Washington : le président des Etats-Unis avait publiquement proclamé accorder plus de foi aux paroles de l’ancien agent du KGB, à la tête du pays considéré par la plupart des observateurs comme le principal adversaire de l’Amérique, qu’à celles de ses propres spécialistes du renseignement. (…)

Voilà à peu près où on en est aujourd’hui. « Si la communauté du renseignement produit des informations qui plaisent au président, il la porte aux nues, a dit James Clapper, l’ancien directeur du renseignement national [qui a démissionné le 20 janvier 2017]. Si les informations fournies ne lui plaisent pas, il tire sur les messagers. »

Timothy Snyder, dans Salon, en date du 18 octobre 2020, sous le titre « Historian Timothy Snyder warns that America is already in its own ‘slow-motion Reichstag Fire’ ») « L’historien Timothy Snyder prévient que l’Amérique est engagé dans son propre ‘Incendie du Reichstag au ralenti’ ») :

What we need to be able to do is to say what Trump is. Once you say what Trumpism really is, then you can start to fight it.

We talk about the pandemic as though it is a series of failures. No, the pandemic is not a series of failures. It is the « achievement » that Donald Trump is going to be most remembered for.

More than 200,000 people dead from the pandemic is a type of « achievement » for Trump. It took real effort to make that happen.

I’m not saying that he intended it from beginning to end. I’m not saying that there was a plot in January that 300,000 will be dead in December. What I am saying is that outcome is a result of the decisions made by Donald Trump. If the American people and most of the mainstream news media and other observers keep seeing Donald Trump in terms of omissions such as « he is not a normal politician » then we do not see and understand him for what he really is, whatever that may be.

Donald Trump is a white man. He is old. He wears a tie. What could he possibly be except somewhere in the zone of normal? That erroneous assumption contributes to why so many people are still surprised by his behavior. (…)

Fear is also an important concept here. Trump is running for reelection based on fear – much more so than in 2016. In 2016, it was a mix. Trump and his campaign were talking about infrastructure. They were trying to go to the left of the Democrats on some issues. Whereas in 2020, it’s now just pure fear. A fear that Black people are going to rape white women in the suburbs, and they are going to burn down the cities. The pandemic is either Black people’s fault or it is a conspiracy, or it is not really happening. Fear is being consciously created and then manipulated. The Democrats are really running against a Reichstag Fire. The Democrats are not really running against a political party and Donald Trump’s campaign. (…)

History shows that people can learn to like pain. They can also learn to like inflicting pain on others. That is what the Democrats are up against. They are not competing against some theory of politics where voters and the public are purely rational and motivated by « the issues. »

Donald Trump is a president who happily circulates as much pain as he can on the rationale that his people are going to suffer for him – and they’re going to enjoy suffering because of their idea that other people are suffering more. Trump’s supporters are suffering for a cause which is other people, Black people, immigrants, some Other, suffering more than they are. (…)

Obviously, we are in a slow-motion Reichstag Fire right now. That is what is happening. Donald Trump is not as skilled as Hitler. He doesn’t work as hard as Hitler. He doesn’t have the same level of confidence as Hitler, but he’s clearly looking for that Reichstag Fire emergency. Trump tried to make Black Lives Matter into that emergency. « Antifascists » and « thugs » and « law and order » and so on is part of that effort. Donald Trump keeps trying to make the Reichstag Fire work.

Nous devons être capable de dire ce que Trump est. Une fois que vous avez dit ce qu’est réellement le trumpisme, alors vous pouvez commencer à le combattre.

Nous parlons de la pandémie comme si c’était une série d’échecs. Non, la pandémie n’est pas une série d’échecs. C’est la « réussite » pour laquelle on se souviendra le plus de Trump.

Plus de 200.000 personnes mortes dans une pandémie est une forme de « réussite » pour Trump. Il faut de vrais efforts pour obtenir un tel résultat.

Je ne dis pas que c’était son intention de bout en bout. Je ne dis pas qu’il y avait un plan établi en janvier pour avoir 300.000 morts d’ici décembre. Ce que je dis est que ce résultat provient de décisions prises par Donald Trump. Si le peuple américain et la plupart des médias grand public et d’autres observateurs continuent à voir Trump par des formulations inversées telles que « il n’est pas un politicien normal », alors nous ne le voyons pas et nous le comprenons pas pour ce qu’il est vraiment, quoi que ce soit.

Donald Trump est un homme blanc. Il est vieux. Il porte une cravate. Comment peut-on le voir autrement que comme normal ? Cette hypothèse erronée explique pourquoi tant de gens sont encore et toujours surpris par son comportement. (…)

La peur est un concept important ici. La campagne de Trump pour sa réélection est basée sur la peur – bien plus qu’en 2016. En 2016, c’était un mélange. Trump et son équipe parlaient d’infrastructures. Ils tentaient d’être plus à gauche que les Démocrates sur certains sujets. Alors que, en 2020, c’est maintenant de la peur à l’état pur. La peur que des Noirs vont violer des femmes blanches dans les banlieues, et qu’ils vont brûler les villes. La pandémie est soit de la faute des Noirs, soit c’est un complot, soit c’est pas vraiment en train d’arriver. La peur est consciemment créée et manipulée. Les Démocrates sont vraiment en compétition contre un Incendie du Reichstag. Ils ne sont pas vraiment en compétition contre un parti politique et l’équipe de campagne de Donald Trump. (…)

L’Histoire montre que les gens peuvent apprendre à aimer la souffrance. Ils peuvent aussi apprendre à aimer faire souffrir d’autres gens. C’est à ça que les Démocrates font face. Ils ne sont pas en compétition avec une autre théorie politique pour laquelle les électeurs et le public sont purement rationnels et motivés par « les enjeux ».

Donald Trump est un président qui fait circuler avec enthousiasme autant de souffrance qu’il le peut, faisant le calcul que ses soutiens vont souffrir pour lui – et qu’ils vont adorer souffrir à cause de l’idée que d’autres gens vont souffrir encore plus. Les partisans de Trump souffrent pour une cause qui est que les autres, les Noirs, les immigrants, d’autres Autres, vont souffrir plus qu’eux. (…)

À l’évidence, nous sommes devant un Incendie du Reichstag au ralenti. C’est ce qui se passe. Donald Trump n’est pas aussi habile qu’Hitler. Il est moins travailleur qu’Hitler. Il n’a pas le même niveau d’assurance qu’Hitler, mais il cherche clairement un état d’urgence façon Incendie du Reichstag. Trump a essayé d’utiliser « Black Lives Matter » pour justifier cet état d’urgence. Les imprécations contre les « antifascistes », les « voyous » et pour « la loi et l’ordre » et tout le reste font partie de cet effort. Donald Trump n’arrête pas d’essayer de déclencher cet Incendie du Reichstag.

Timothy Snyder, à nouveau, dans « Commonweal Magazine », en date du 8 octobre 2020, sous le titre « Not a normal election » :

During a normal campaign, both candidates take for granted that they will walk free after the election. One will be in the Oval Office; the other will go home. This year is different. One candidate, Donald Trump, knows that, should he not remain in power, he will descend into poverty, go to prison, or both. He can hold the ongoing criminal investigations at bay as long as he is president, but not thereafter. Trump owes hundreds of millions of dollars to his creditors and has no visible means to pay them back. As president, he can expect his creditors to wait; as a private citizen, he cannot.

If someone can maintain wealth and freedom only by holding onto power, that person will fight to hold onto power. Behind the ideologies and the propaganda, this is the core history of tyranny: government becomes the bodyguard of a gangster. Modern authoritarians such as Vladimir Putin have much to say about why they must remain in power, but the real issue is that they wish to die wealthy and in their own beds rather than poor and in prison. In authoritarian countries, the anxiety of the tyrant can be allayed by a promise not to prosecute the leader and his family, and to leave their bank accounts in peace. Because the rule of law still (more or less) prevails in the United States, no one can offer Trump such a deal. He is therefore in a fight for his life; from his point of view, he needs to spend the rest of it in the White House. His predicament might not be obvious to Americans, but people in authoritarian countries see it right away.

It is also unusual, in an American presidential campaign, for one of the candidates to admit defeat. Trump has a fine political mind, and he can read polls and the national mood as well as anyone. For months now, he has been signaling that he cannot beat Joe Biden in an election. When he tried to summon the armed forces to aid him in June, it was the gesture of a man who needed unusual forms of help. When he tweeted in July that elections should be delayed, he revealed that he did not think he could win them. Undermining the United States Postal Service, asking his supporters to vote twice, and saying that he will not accept the results: all of these are ways of saying that he expects to lose. His campaign has ignored swing voters, and the Republican National Convention made no attempt to reach the undecided. In the first presidential debate, Trump tried, as he has done for months, to delegitimize the election as such.

If we take Trump at his word and begin with the premise that he cannot win the election, then his actions make sense. The plan is not to win the popular (or even the electoral) vote, but rather to stay in power in some other way. We don’t even really have to guess about this, since Trump has spelled it out himself: he will declare victory regardless of what happens, expect state governments to act contrary to vote counts, claim fraud from postal ballots, court chaos from white nationalists (and perhaps the Department of Homeland Security), and expect the Supreme Court to install him. In general, the idea behind these scenarios is to create as much chaos as possible, and then fall back upon personal ruthlessness and an artificial state of emergency to stay in power. If Trump creates a constitutional crisis while his supporters commit acts of violence, the Supreme Court might be intimidated.

In this transition from democracy to authoritarianism, otherwise known as a coup d’état, the actual number of people who vote for Trump matters less than it would in an ordinary election. In this scenario, it matters more how angry they are, and how willing some of them are to endorse extraordinary actions by Trump, or to take such actions themselves. Because he is treating election day as the occasion for a coup, Trump has good reason not to soften his message to reach more voters. In doing so he would risk losing some of the emotion he needs when he tries to stay in power by non-democratic means. He only has to stay within about ten points of Joe Biden to avoid the demoralization that arises when even core supporters realize they have been deceived by their leader and overwhelmed by their fellow citizens at the polls.

It is unusual for a plan for a coup d’état to be broadcast so clearly. Yet there is a political logic here, one with deep moral implications. By telling Americans in advance that he intends to stay in power regardless of the vote count, Trump is implicating his supporters in the action as it unfolds. He is giving them notice that they are siding with someone who intends to work hard to see that votes are not counted. He is making them understand that they are participants in the unravelling of American democracy. They might not want to face this reality squarely, which would be a normal reaction. This is a lesson of modern tyranny: authoritarianism need not be a conscious project of those embraced by it. They need only sleepwalk through the roles assigned to them. When democracy lies in the dust, they will find rationalizations for what they have done, and will support the authoritarian regime that follows, because they are already involved. No argument from emotions or interests can stop that process. The degradation is ethical, and so the question is about ethics.

Pendant une campagne normale, les deux candidats tiennent pour acquis qu’ils s’en iront libres après l’élection. L’un occupera le Bureau Oval ; l’autre rentrera chez lui. Cette année est différente. L’un des candidats, Donald Trump, sait que, s’il ne reste pas au pouvoir, il va tomber dans la misère, aller en prison, ou les deux. Il peut rester hors de portée de toutes les enquêtes criminelles en cours tant qu’il est le président, mais pas après. Il a des centaines de millions de dollars de dettes et n’a aucun moyen apparent de rembourser ses créditeurs. En tant que président, il peut faire attendre ses créditeurs ; redevenu un simple citoyen, il ne pourra plus.

Si quelqu’un ne peut garder sa richesse et sa liberté qu’en s’accrochant au pouvoir, cette personne se battra pour garder le pouvoir. Derrière les idéologies et la propagande, c’est l’histoire centrale de la tyrannie : un gouvernement devient le garde du corps d’un brigand. Les autocrates modernes tels que Vladimir Poutine ont beaucoup à dire pour expliquer pourquoi ils doivent rester au pouvoir, mais le vrai sujet c’est qu’ils veulent mourir riches et dans leurs lits, plutôt que pauvres et en prison. Dans les pays autoritaires, l’anxiété du tyran peut être apaisée par la promesse de ne pas poursuivre le chef et sa famille en justice, et de laisser tranquilles leurs comptes bancaires. Parce que les Etats-Unis sont encore (plus ou moins) un État de droit, personne ne peut promettre cela à Trump. Il se bat donc pour sa propre survie ; de son point de vue, il doit passer le reste de sa vie à la Maison-Blanche. Cette situation difficile n’est peut-être pas évidente pour les Américains, mais des gens vivant dans des pays autoritaires la comprennent aisément.

C’est aussi inhabituel, dans une campagne présidentielle américaine, qu’un des candidats reconnaisse par avance sa défaite. Trump a un esprit politique affûté, et il sait lire les sondages et l’humeur du pays aussi bien que n’importe quoi. Depuis des mois, il a envoyé des signaux indiquant qu’il ne peut pas battre Joe Biden dans une élection. Quand il a tenté de mobiliser les forces armées en juin, c’était le geste d’un homme qui a besoin de formes d’aide inhabituelles. Quand il a tweeté en juillet que les élections pourraient être reportées, il a révélé qu’il ne pensait pas pouvoir les remporter. Saboter les services postaux, demander à ses partisans de voter deux fois, et indiquer qu’il n’acceptera pas les résultats : toutes ces actions sont des manières de dire qu’il s’attend à perdre. Sa campagne a ignoré les électeurs flottants, et la convention républicaine n’a rien fait pour tenter de parler aux indécis. Dans le premier débat, Trump a essayé, comme il l’a fait depuis des mois, de délégitimer l’élection elle-même.

Si nous prenons Trump au mot et partons de l’hypothèse qu’il ne peut pas gagner l’élection, alors ces actions ont un sens. Le plan n’est pas de gagner le vote populaire, ni le collège électoral, mais de rester au pouvoir d’une autre manière. Nous n’avons même pas besoin de le deviner, puisque Trump l’a annoncé lui-même : il se déclarera vainqueur quoi qu’il arrive, il attendra des gouvernements des États qu’ils agissent contre les décomptes des voix, il traitera comme frauduleux les votes par correspondance, il incitera les nationalistes blancs à semer le chaos (ainsi que peut-être le Département de la Sécurité Intérieure), et il demandera à la Cour Suprême de ratifier tout cela. D’une manière générale, l’idée derrière tous ces scénarios est de créer le plus de chaos possible, puis de s’appuyer sur son absence totale de scrupules et sur un état d’urgence artificiel pour rester au pouvoir. Si Trump parvient à créer une crise constitutionnelle tandis que ses partisans se livrent à des actes de violence, la Cour Suprême pourrait être intimidée.

Dans cette transition de la démocratie vers l’autoritarisme, également connue sous le nom de coup d’État, le nombre réel de gens qui votent pour Trump compte moins qu’il ne compterait dans une élection normale. Dans ce scénario, ce qui compte c’est à quel point ils seront en colère, et à quel point certains d’entre eux seront prêts à approuver des actions extraordinaires de la part de Trump, ou à entreprendre de telles actions eux-mêmes. Parce qu’il s’apprête à traiter le jour de l’élection comme une occasion pour un coup d’Etat, Trump a de bonnes raisons de ne pas adoucir son message afin de tenter de séduire plus d’électeurs. En faisant cela, il risquerait de perdre une partie de l’émotion dont il aura besoin quand il tentera de garder le pouvoir par des moyens non-démocratiques. Il doit juste rester à moins de dix points de Joe Biden pour éviter la démoralisation qui pointe lorsque même les plus fidèles partisans réalisent qu’ils ont été dupés par leur chef et dépassés par leurs compatriotes.

Il est rare que le plan d’un coup d’État soit diffusé aussi clairement. Et pourtant il y a là une évidence politique, qui comporte des implications morales profondes. En annonçant au peuple américain par avance qu’il entend rester au pouvoir quelque soit le décompte des voix, Trump implique ses partisans dans l’action alors qu’elle se déploie. Il les prévient à l’avance qu’ils prennent parti pour que quelqu’un qui a l’intention de tout faire pour que les voix ne soient pas comptées. Il leur fait comprendre qu’ils sont en train de participer au démantèlement de la démocratie américaine. Ils ne veulent peut-être pas regarder cette réalité en face, ce qui serait une réaction normale. C’est une leçon des tyrannies contemporaines : l’autoritarisme n’a pas besoin d’être un projet conscient pour ceux dont il s’empare. Il leur suffit juste d’avancer comme des somnambules à travers les rôles qui leur sont assignés. Quand la démocratie sera tombée en poussière, ils trouveront des justifications pour ce qu’ils ont fait, et soutiendront le régime autoritaire qui suivra, parce qu’ils sont déjà impliqués. Aucun argument poussé par des émotions ou des intérêts ne peut interrompre ce processus. La dégradation est éthique. C’est une question d’éthique.

Pour terminer, quelques autres pistes de lecture, sur le thème « ça peut déraper grave en Amérique du Nord en Novembre 2020 », que je n’ai pas le temps de traduire et j’en suis bien désolé, la nuit tombe de plus en plus tôt :

« What If Trump Loses And Won’t Leave? » : Que se passe-t-il si Trump perde et refuse de partir ?

« Is Trump planning a Coup d’État? » : Est-ce que Trump prépare un coup d’État ?

« The Election That Could Break America » : L’élection qui pourrait briser l’Amérique.

« A wargame designer defines our four possible civil wars » : Un concepteur de jeux de stratégie définit quatre formes possibles de guerre civile.

J’ai un rapport compliqué avec l’Amérique du Nord, depuis plus de vingt ans. J’ai encore de la sympathie pour l’Amérique du Nord. J’ai des amis en Amérique du Nord. Je ne souhaite guerre civile et tyrannie à personne.

Bonne nuit.

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2 commentaires pour Pistes de lecture – Dump Trump!

  1. smolski dit :

    « _ puis de s’appuyer son absence totale de scrupules et sur un état d’urgence artificiel pour rester au pouvoir. »
    _puis de s’appuyer SUR son absence totale de scrupules 🙂

    Merci de ce post à lire et relire de bout en bout, non seulement pour ce qui concerne les US, mais aussi comparativement à ce que prépare l’actuel président français des boues et des ordures.
    À noter, que son intervention dernière fustigeant les islamistes en bloc est de même facture que ce que propose Trump… Avec les mêmes résultats haineux de toutes parts.

    Un total mépris pour Samuel Paty dont il faisait l’hagiographie sociale et responsable l’instant d’avant.

    Autre pays, même stratégie d’intimidation fascinante.

    Joel 😀

    • Merci pour le coup d’oeil. Coquille corrigée.
      Si la stratégie d’intimidation fascinante/fascisante de Trump réussit cet automne, elle risque d’en inspirer d’autres dans les prochaines années : Johnson en 2024, Bolsonaro en 2023, Macron en 2022…

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