Le choix de l’obscurantisme

Les politiques du régime Macron face au Covid-19 semblent d’une rare inefficacité. Dans les premières semaines de novembre 2020, la France est l’un des pays affligés du plus grand nombre de morts du Covid-19, derrière les Etats-Unis, au coude-à-coude avec l’Inde, l’Iran et quelques autres.

Ces politiques semblent aussi d’une rare incohérence. Le quotidien allemand conservateur Die Zeit a parlé d’ « Absurdistan autoritaire ».

Sur l’inefficacité, je n’ai rien à rajouter. Sur l’incohérence, je suis plus perplexe. Je ne crois pas que ce régime, ces gens (« les macroniens »), cette caste (« le bloc bourgeois »), soient si incohérents que cela.

Ce billet propose d’étudier la cohérence entre deux aspects de leurs politiques face au Covid-19 : d’une part, l’élan répressif ; d’autre part, la retenue scientifique. Il y a là, il me semble, un double mouvement finalement très cohérent, que j’appellerai, pour faire court, le choix de l’obscurantisme.

1) Le choix de la répression

Face au Covid-19, le principal moyen mis en œuvre par le régime Macron, c’est sa police. La police a déjà sauvé le régime en écrasant les Gilets Jaunes entre Novembre 2018 et mars 2019. La police était prête à sauver encore une fois le régime en écrasant la mobilisation contre la réforme des retraites en mars 2020.

La police – et plus largement, les forces armées – est l’outil principal, l’outil préféré de ce régime. Le budget du Ministère de l’Intérieur est en hausse. Les recrutements augmentent. Et la « proposition de loi » pour la « sécurité globale » (ils ont évité le mot « totale », trop connoté « totalitaire » sans doute) accroit leurs moyens, leurs attributions, leur impunité, tous azimuts.

On pense à la formule d’Abraham Maslow :

Si leur seul outil dont vous disposez est un marteau, vous voyez tous les problèmes comme des clous.

On pense à la chanson de Renaud :

La France est un pays de flics
À tous les coins de rue y en a cent

On pense à la formule de Frédéric Lordon en 2016 :

On ne tient pas éternellement une société avec BFMTV, de la flicaille et du Lexomil.

En 2020, en France, le discours sur les « règles sanitaires » permet de tout justifier, et il est organisé principalement de manière à pouvoir être contrôlé par la police. À faire planer et justifier une répression policière omniprésente. L’ « autorisation de sortie », techniquement intitulée « attestation de déplacement dérogatoire », familièrement appelée chez moi « Ausweis » en hommage à Gérard Jugnot, est unique au monde.

Le « deuxième confinement » (également appelé « arraisonnement ») est largement bidon pour toutes sortes de raisons (notamment l’ouverture des garderies, anciennement appelées « établissements scolaires »), mais les « Ausweis » de tous types sont plus que jamais omniprésents. Et la propagande du régime multiplie les signaux, les images, les exemples. Le préfet des Bouches-du-Rhône a même indiqué, sans rire, que lorsque des trafiquants de drogue et leurs clients sont interpelés, les agents n’oublient pas de contrôler leurs « Ausweis ».

L’objectif n’est pas de continuer la vie, il est de continuer le travail, c’est-à-dire plus exactement la production de profits. Tout ce qui peut concourir à la production de profits est maintenu, tout le reste est interdit. On contrôle, on verbalise ce qui n’est pas conforme, et on tape sur tout ce qui bouge.

Madame la Ministre du Travail n’a pas arrêté de le proclamer : On ne se contamine pas au travail. Monsieur le Ministre de l’Éducation n’a pas arrêté de le proclamer, en falsifiant éhontément ses statistiques : On ne se contamine pas à la garderie.

Et, symétriquement, tous répètent en chœur : on se contamine dans les restaurants, les bars, les cinémas, les repas de famille, dans tous les lieux de vie personnelle. Ce qui propage le virus, c’est les mauvais comportements des gens, et rien d’autre. Ils adorent culpabiliser les gens. Ils adorent prendre les gens pour des cons. Ils adorent considérer les gens comme bêtes, sales et indisciplinés – et ça justifie l’usage de la force pour les discipliner. Les gens sont cons, et c’est dangereux, donc il faut dicter leur conduite. Il faut leur imposer des contrôles de police au nom des règles sanitaires. Unique au monde, ou presque.

Et ils sont fiers de leurs chiffres, leurs millions de contrôles d’ « Ausweis », leurs millions d’amendes distribuées, et tout le reste ! Si vos seuls outils sont des marteaux, vous êtes très fier de vos clous !

Ils gèrent une crise sanitaire avec leur flicaille. C’est leur choix.

2) Le refus de l’investissement

J’ai écouté en octobre, avec quelques semaines de retard comme d’habitude, le podcast « Le Nouvel Esprit Public » daté du 20 septembre 2020. Les doctes participants centristes y chantaient évidemment les louanges du « plan de relance » économique du régime Macron. Une seule participante a osé exprimer une nuance, la correspondante à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung, Michaela Wiegel :

Quelque chose d’autre m’a frappé dans le plan français. En Allemagne, le mot « corona » est omniprésent, tout est mis en perspective avec la lutte contre le virus, dans une stratégie cohérente. En France, il n’en va malheureusement pas de même, et il semble que l’on se dirige vers une deuxième vague de contaminations massives. On ne parvient pas à contrôler l’épidémie en France et dans ces conditions, j’ai très peur que même le meilleur plan de relance du monde ne puisse fonctionner.

Avec le recul, cette nuance est colossale, sinon catastrophique.

Au cours de l’été 2020, la France semble avoir été le grand pays d’Europe qui est allé le plus loin dans l’idée que le Covid-19 c’était fini, et qu’on pouvait passer à autres choses. Notamment, sa classe dirigeante. Le régime voulait passer à autre chose. Le régime voulait reprendre ses politiques néolibérales. Son « plan de relance » n’est que ça : la poursuite du pillage par d’autres moyens. Au diable le Covid-19, il s’agit de sécuriser les dividendes du CAC 40 !

Avez-vous entendu parler de députés ou dirigeants français partis en voyages d’études vers des pays qui ont mieux géré qu’eux la première vague du Covid-19 – au hasard : Taïwan, Corée du Sud, Vietnam, Nouvelle-Zélande, ou juste Allemagne ? Ou qui auraient invité des experts venus de ces pays à passer quelques mois ici pour partager leurs « bonnes pratiques » ? Non. Non, ça ne les intéresse pas.

Un exemple emblématique – parmi d’autres – est les systèmes de filtration et de purification d’air. En Allemagne, toute une mobilisation a eu lieu sur ce sujet : des industriels, des scientifiques, des ingénieurs, des enseignants, etc. Tout l’été, ils ont travaillé, monté des prototypes, évalué des solutions, et puis commencé à les déployer dans des établissements scolaires.

En France, pendant l’été 2020, Monsieur le Ministre de l’Education a principalement fait le guignol devant les caméras, jouant au football, faisant de l’escalade, et autres avatars du concept jupitérien de « vacances apprenantes ». Puis il a remis son costume, sa cravate et son air viril, fin août, pour s’afficher à la une d’un des organes officiels du régime : « Nous sommes prêts ». Et quelques semaines plus tard, quand il a fallu commencer à admettre que, sur la filtration, il n’avait rien fait, il a juste trouvé bon de dénigrer les études allemandes que la gentille journaliste osait lui suggérer.

Ce n’est qu’un exemple, il y en a d’autres. C’est un état d’esprit. C’est l’état d’esprit de ce régime. Beaucoup de communication, beaucoup de gesticulations, mais in fine rien de substantiel. Parce qu’on ne veut pas. On ne veut pas investir. On ne veut pas dépenser. Ni dans du matériel, ni dans des locaux, ni dans des enseignants, ni dans rien du tout. Le fin mot de la pensée complexe du régime Macron sur les enseignants a été rapporté fin août par Le Canard Enchaîné :

C’est le genre de créations d’emplois qui vont aggraver le déficit et qui ne servent pas à redresser le pays.

En France, en juin 2020, Monsieur le Ministre de la Santé a organisé son « Grand Débat National » à lui pour enfumer les soignants. Pour mettre un peu de variété, il n’a pas appelé ça un « Grenelle », mais un « Ségur ». Ceux qui ont refusé de se laisser enfumer ont été gazés ou tabassés. Et la volonté du régime a prévalu : on continue comme avant. Alors ils ont continué. Ils ont continué à fermer des hôpitaux. Ils ne recrutent que des gestionnaires. Ils continuent à imposer toutes sortes d’économies absurdes à l’hôpital public. Le résultat est très simple : le système de santé français doit encaisser la deuxième vague avec encore moins de moyens que la première.

On pourrait aussi évoquer les brillantes actions de Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur. Sa « loi de programmation de la recherche » est à lui tout seul un stupéfiant monument d’obscurantisme, qui va notamment achever de détruire ce qu’il restait de recherche scientifique en France, tout en accroissant les droits de la flicaille et des capitalistes à l’intérieur des universités.

On pourrait continuer, mais à quoi bon ?

Tout cela est cohérent.

Il y a une idéologie à l’œuvre. Ils y croient ! En résumé : On ne veut pas dépenser pour le bien commun. Seul le marché est légitime pour décider où il faut investir. Seuls les investissements qui rapportent sont légitimes.

La science, la recherche, la connaissance, la santé, l’éducation, ça ne les intéresse pas. Ce ne sont que des coûts. Ce ne seront toujours que des coûts. Et ces gens adorent jouer les « cost-killers », ils sont persuadés que ça fait moderne, américain et viril.

C’est leur choix.

3) Ils adorent écraser les cons

Comme on le constate presque quotidiennement, le régime Macron et sa base bourgeoise adorent prendre les gens pour des cons.

Ils adorent prendre les gens pour des cons, et puis ils adorent écraser les cons. Ils adorent se dire que ceux qu’ils écrasent sont des cons. Ils les écrasent parce qu’ils sont des cons. Car, enfin, voyons, s’ils n’étaient pas cons, ils seraient forcément avec nous, n’est-ce pas ?

Contrairement aux apparences, ils ne croient pas au débat démocratique, à la délibération collective, à la force du consensus. Ils ne croient pas au dialogue, ils croient à la propagande. Ils ne croient pas à la communication claire, ils croient à la communication obscure. Ils ne cherchent pas à convaincre, ils cherchent à dominer. Et ils adorent recourir à la force. C’est leur outil le plus fiable. C’est leur outil préféré. Si le seul outil que vous avez est un marteau…

Alors ils adorent que les conneries fleurissent. Ils adorent les conneries, comme le fumeux « documentaire » « Hold-up », qui a tant fait parler de lui ces derniers jours. Ces conneries sont inoffensives pour eux. D’une part, à court-terme, elles sont faciles à déconsidérer. Et puis, d’autre part, à moyen-terme, elles permettront de salir et de décrédibiliser des formes de critiques beaucoup plus incisives, fondées et argumentées. Tous ceux qui dans les prochains mois continueront à essayer de demander des comptes au régime Macron pour le fiasco de la deuxième vague du Covid-19 se prendront « Hold-Up » et ses âneries dans la gueule, merci les fachos pour le cadeau.

Les bourgeois macroniens préfèrent avoir en face d’eux des « complotistes » grotesques, plutôt que des opposants structurés. Ils préfèrent ceux qui sont faciles à traiter de cons. Ils préfèrent ceux à qui il est facile de clouer le bec. Ils préfèrent ceux qui sont faciles à écraser.

Lors de la révolte des Gilets Jaunes, l’un des principaux ressorts de la propagande du régime Macron était, pour simplifier : « C’est tous des cons ! ». Les propagandistes étaient chargés de mettre en valeur les moins dégourdis et les plus grotesques, pour discréditer tout le troupeau. Et lorsque, par hasard, ils se trouvaient face à des gens instruits, structurés, capables d’expliquer leur combat, capables de tenir tête, capables de mettre en lumière les contradictions et les abjections du régime, leur stupeur était visible :

Vous êtes un militant politique, vous n’êtes pas un vrai gilet jaune !

Contrairement aux apparences, contrairement à leurs proclamations, les macroniens ne cherchent pas à construire une majorité dans la population, ils ne cherchent pas l’adhésion de l’opinion publique. Ils considèrent qu’ils n’en ont pas besoin.

D’une part, parce que, dans cette Vème République à bout de souffle, la magie du scrutin uninominal à deux tours rend inutile l’assentiment populaire. En 2022, il suffira que le produit Macron arrive deuxième au premier tour, puis batte Marine Le Pen à l’arrachée. Il suffira que le produit Macron divise ses opposants, décourage la participation, arrive à mobiliser à peine 15% des suffrages exprimés, et ils seront tranquilles cinq ans de plus. Ils n’ont aucune intention, et encore moins aucune envie, d’essayer de convaincre une majorité de leurs concitoyens. Il leur faudra juste mobiliser leur base au premier tour. Et ensuite, au deuxième tour, leur slogan ce sera « C’est nous, ou les cons ! ». Et 51% des suffrages exprimés leur suffiront. Et le pillage pourra continuer. 15 / 51. Pas besoin de plus.

D’autre part, parce qu’ils n’ont aucun scrupule à utiliser pour leurs petits desseins toute la force de la Vème République, ce régime conçu pour résister à l’opération Fall Gelb déclenchée le 10 mai 1940, fondé par le coup d’Etat de 13 mai 1958, et renforcé dans la foulée du putsch du 21 avril 1961. Toute cette force est au service de leur pillage. Toute cette force les dispense de débats et de délibérations. Toute cette force leur permet de d’ignorer, de diaboliser et d’insulter leurs adversaires — amish, Gaulois réfractaires, complotistes, Gilets Jaunes, etc.

Ils pourraient jouer un jeu démocratique. Ils ne veulent pas. Ils font à peine semblant.

Ils pourraient écouter ceux qui ne pensent pas comme eux, et surtout ceux qui ne sont pas comme eux. Ils ne le font pas. Ils font à peine semblant. C’est leur choix.

Ce sont leurs choix.

Le choix de culpabiliser et réprimer les gens, plutôt que de faire des efforts et des investissements pour les gens.

Le choix de n’écouter personne, parce qu’ils sont persuadés d’être supérieurs. Trop intelligents, trop subtils, trop techniques, comme disait Gilles Le Gendre.

Le choix de passer en force, parce qu’ils sont persuadés d’avoir une force armée supérieure à leur disposition. Au fond, ce sont des vieux maoïstes : leur pouvoir est au bout du fusil, comme disait Mao Tsé-Toung.

Le choix de l’obscurantisme, parce qu’ils sont persuadés que les seules lumières c’est eux, et que les seuls qui méritent la lumière, c’est eux.

L’obscurantisme est un choix. C’est leur choix. C’est eux.

4) Le choix de l’abaissement

On croit parfois que l’abaissement du pays préoccupe tout le pays, et surtout ses classes dirigeantes. Je l’ai longtemps cru, notamment lors des débats provoqués au début de ce siècle par le petit livre de Nicolas Baverez : « La France qui tombe ». C’était une illusion.

La réalité est à l’opposé : les classes dirigeantes, non seulement se fichent de l’abaissement du pays, non seulement s’en accommodent fort bien, mais surtout, cet abaissement est le fait de leurs choix. Le déclin, c’est eux, la déchéance, c’est eux, et c’est un projet de longue haleine, un projet lancé il y a une cinquantaine d’années, nous y reviendrons peut-être dans d’autres billets.

Le pays s’appauvrit ? C’est pas grave, tant que la bourgeoisie, elle, ne s’appauvrit pas, et que sa domination sociale, elle, ne faiblit pas.

L’espérance de vie en bonne santé diminue ? C’est pas grave, tant que ce sont juste les moyennes nationales. Qui se soucie de l’espérance de vie en bonne santé des gueux, et plus généralement, de la bonne santé des gueux ? Ce ne sont que des animaux.

Le pays s’abrutit ? Les gens sont moins instruits, voire plus du tout instruits ? Les enseignants désarmés, décrédibilisés et paupérisés n’y arrivent plus ? C’est pas grave. Ça fait des économies. Ce ne sont que des coûts.

L’ignorance fait des ravages ? Les gens paupérisés sont vulnérables aux préjugés et aux haines de toutes sortes ? Les gens mal instruits sont visés, non seulement par le retour des obscurantismes des vieilles religions, mais par de nouvelles formes d’obscurantisme type QAnon ou YouTube ? C’est pas grave. Ça ne les rend que plus facilement méprisables. Ce ne sont que des riens.

La bourgeoisie française préfère régner sur des gueux analphabètes que sur des travailleurs instruits. C’est plus facile à gérer. C’est plus facile à écraser. C’est plus facile à mépriser.

Des livreurs à vélo, des hyper-spécialistes avec des hyper-œillères, des tâcherons du clic, des esclaves (on dit « auto-entrepreneurs »), bref des gens abrutis à la tâche, ça leur va. C’est facile à exploiter. C’est facile à traiter de cons. Et ça coûte moins cher.

Des soignants instruits, des enseignants cultivés, des travailleurs qualifiés, des chercheurs pluridisciplinaires, des gens en bonne santé, bref des esprits potentiellement critiques, ça les gêne. C’est plus difficile à dominer. C’est plus difficile à mépriser. Et ça coûte plus cher.

Ils adorent citer l’Allemagne en exemple, mais leur modèle social, ce n’est pas l’Allemagne, c’est plutôt le Brésil. Un pays riche, avec des citoyens plutôt bien instruits, et avec des riches juste riches, ça ne les inspire pas. Un pays pauvre, avec beaucoup d’analphabètes, et avec des riches extrêmement riches, ça les enthousiasme.

C’est leur choix. C’est cohérent.

5) L’obscurantisme au sommet

Une parenthèse pour terminer.

On croit parfois que ceux qui dirigent ce pays, notamment les énarques, typiquement le quarteron d’énarques qui à cet instant décident seuls d’absolument tout (le petit président, le petit premier ministre, et leurs directeurs de cabinet – Macron, Castex, Kohler, Revel) , parce qu’ils ont fait des études longues et apparemment brillantes, ont quelque intérêt pour la connaissance en général, et pour la science en particulier. Je pense qu’on se trompe.

On croit typiquement que le produit Macron est une sorte d’intellectuel, un monarque certes mais, un monarque éclairé. Parce qu’il a épousé sa prof de français, parce qu’il aurait voulu faire Normale-Sup plutôt que l’ENA, parce qu’il aurait été l’assistant de Paul Ricoeur, parce qu’il parle bien, parce qu’il excelle au name-dropping et à saupoudrer ses logorrhées de citations convenues. Parce que c’est ce que sa propagande dit. Je pense que c’est de la poudre aux yeux, ou, pour le citer, « du pipi de chat ».

Je pense que ce n’est pas pour rien que Frédéric Lordon les a baptisés « Les connards qui nous gouvernent ».

Je pense qu’on ne prend jamais assez au sérieux Emmanuel Todd, mot à mot, même dans ses sentences les plus ouvertement provocatrices, telles que :

La crétinisation des mieux éduqués est extraordinaire.

Je pense qu’on a sous-estimé aussi le sens de l’une des dernières prophéties attribuées à François Mitterrand :

Après moi, il n’y aura plus que des comptables.

J’aimerais bien me tromper.

Mais je pense qu’intimement, fondamentalement, ils ne croient pas à la science, à l’industrie, à la technologie, au progrès des connaissances, à l’amélioration de la condition humaine, au progrès social, au développement de la conscience humaine, au progrès tout simplement.

Ils croient à leurs carrières. Ils croient au pouvoir. Ils croient en la force. Ils croient en eux-mêmes. Ils croient en leurs amis milliardaires, et à tout ce qui fait du fric. Ils croient à la justice du marché, à la destruction créatrice, à la main invisible, au ruissellement et à toutes les conneries du même acabit. Ils y croient ! Ils croient au néolibéralisme, comme d’autres jadis croyaient en dieu et aux forces du mal.

L’ENA, comme la plupart des « Grandes Ecoles » de ce pays, ne sont plus que des « business schools ». Elles forment des gestionnaires et des commissaires politiques, au service du capital. Leurs mécanismes de recrutement eux-mêmes ne sont plus que des mécanismes de filtrage idéologique. Et leur vivier de recrutement se rétrécit année après année au cœur du cœur du bloc bourgeois.

Il ne s’agit pas d’être brillant, il s’agit d’être conforme – une perle récemment dénichée par les camarades infiltrés l’illustre superbement.

Il ne s’agit pas de produire des choses utiles, il s’agit de faire du fric.

Il ne s’agit pas d’agir pour le bien commun et le plus grand nombre, il s’agit de faire carrière et de servir sa caste.

Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’cause pas, Monsieur, on n’cause pas, on compte

Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’pense pas, Monsieur, on n’pense pas, on prie

Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’vit pas, Monsieur, on n’vit pas, on triche

Refermons la parenthèse, et concluons.

L’An Mil, deux point zéro

Ils croient en la force. Ils ne croient pas en la science.

Ils croient en eux. Ils ne croient pas en nous.

Ils se soucient de leur pouvoir, de l’accumulation et la rentabilité du capital. Ils ne soucient pas de la santé publique, de l’école publique, des universités et de la recherche scientifique, et de tout ce qui est public en général – ils les pillent, c’est tout.

Ils veulent être une caste forte. Ils n’ont pas besoin que le pays soit fort, ils n’ont pas besoin que ses citoyens soient instruits, bien nourris, bien logés et en bonne santé, que les arts et les sciences se développent, et autres marques de civilisation. Ils ont juste besoin d’une police forte, et de protecteurs étrangers puissants – aujourd’hui à Berlin, encore un peu à Washington, un jour peut-être à Pékin.

Ils sont une résurgence de l’Ancien Régime.

Ils sont un obscurantisme. C’est leur choix.

Ils nous emmènent dans les ténèbres – leurs ténèbres. Tout est dans le possessif.

We live in Utopia; it’s just not ours.

Nous vivons dans leur Utopie.

Bonne nuit.

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7 commentaires pour Le choix de l’obscurantisme

  1. Ping : :::1Bol2RⒶge::: [Reposito / Revue presse et rs * 20 novembre 2020] – akratnode

  2. Alex dit :

    Prendre exemple sur la Corée du Sud, plutôt que la Corée du Nord non?

  3. Luc dit :

    Bonjour
    Je partage tout à fait votre analyse, mais, si je peux me permettre, il y a un point qui me dérange dans votre article : lorsque vous parlez de Hol-up que vous traitez de « conneries ». Je ne dis pas que j’adhère à ses théories, absolument pas, mais je trouve méprisant de le traiter ainsi. Le mépris est la marque de celui/celle-s/ceux qui se considèrent supérieurs. N’est-ce donc pas une des caractéristique de cette classe dont vous dénoncez ici l’attitude nuisible ? Il me semble que notre président nous l’a bien fait comprendre, non ? Donc pourquoi s’abaisser aux même travers qu’eux ?
    Le fait de savoir manier les concepts ne fait pas de nous des êtres supérieurs. Non ? Juste plus compétents pour certaines tâches. D’autre part cela n’aide ni au partage ni à la compréhension de votre texte. Au contraire, je pense que cela pourrait braquer des gens qui pourraient être réceptifs à votre analyse.
    Luc

    • Chris dit :

      À force d’euphémiser on en vient à tout relativiser. C’est de la bouillie conceptuelle à la fin.
      Un film de propagande obscurantiste d’extrème droite est réellement une « connerie ». Tout comme le gouvernement et les intérêts qu’il sert (à grandes louches de milliards) sont dangereux pour 80% des gens. Dans les 20% restants je mets tous les collabos sans lesquels la machine à truander ne marcherait pas: petits chefs dans les entreprises et administrations, lumpenprolétariat, journalistes véreux, poujadistes de tout poil, etc.

      • Anonyme dit :

        Ce film a touché bien des gens qui ne font pas partie des 20% de « collabos ». Il leur dit qu’on leur ment et ça, les gens commence à en prendre conscience. Donc, quelque part, ce film leur parle. Mais si j’arrive et que je leur dit que c’est une connerie, ils vont se braquer, se mettre sur la défensive; et je ne pourrai pas communiquer avec eux. Si votre article est destiné à des convaincus, bien, mais cela serait dommage car tout le reste est pertinent et explique clairement la mentalité de la classe dominante.

  4. Chris dit :

    Lorsqu’un responsable politique parle de « gens qui ne sont rien » nous sommes bien au-delà du simple mépris de classe. Le plus nazi des philosophes, Heidegger, considérait que les juifs n’accédaient pas à « l’être » et qu’en définitice ils n’existaient pas. Macron me semble plus nazillon dans l’âme qu’autre chose.

Tous les commentaires seront les bienvenus.